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Postscriptum n°5 : Le fonctionnement des organes de contrôle dans les organisations pathologiques

Dans le chapitre consacré aux symptômes des projets pathologiques, nous avons analysé les raisons qui incitent les organes de contrôle à garder le silence face aux dysfonctionnements propres aux projets pathologiques.

Le rôle clé de ces organes dans une entreprise justifie une page spéciale sur leur fonctionnement dans les organisations pathologiques.

LES ORGANES DE CONTROLE DANS LES ENTREPRISES SAINES

Le dispositif de contrôle interne mis en place par une entreprise lui permet de s'assurer que l'organisation dans son ensemble respecte ses objectifs tout en maîtrisant les différents risques liés à son activité. Au sein de ce dispositif, les organes de contrôle (auditeurs internes ou inspecteurs internes selon la terminologie en vigueur) :

  • s'assurent que les risques de l'entreprise sont bien identifiés et maîtrisés ;
  • sont détenteurs d'un pouvoir d'alerte dans le cas contraire (rapports d'audit contenant les constats et recommandations d'amélioration).

Pour réaliser leurs missions, les auditeurs internes doivent disposer d'une marge de manoeuvre entière leur permettant de s'exprimer sur tout sujet dès lors qu'il a un impact négatif sur le fonctionnement, voire la survie, de l'entreprise au regard des objectifs qu'elle s'est fixés.

Il s'établit alors une relation de confiance implicite dans laquelle l'organisation dans son ensemble sait qu'elle a tout intérêt (elle y gagne économiquement) à assurer à ses auditeurs, en tous cas en interne, une indépendance dont les premiers garants sont précisément les dirigeants de la société.

LES ORGANES DE CONTROLE DANS LES ORGANISATIONS PATHOLOGIQUES

Dans un environnement pathologique, un auditeur pathologique respecte trois impératifs de base :

IMPERATIF N°1: Fermer les yeux sur les sujets «politiquement» incorrects, car susceptibles de mettre en cause la position de la hiérarchie (voir les mécanismes décrits dans le chapitre le silence des organes de contrôle dans le cas des projets pathologiques).

IMPERATIF N°2: Justifier de son existence :
Pour ce faire, l'auditeur pathologique doit rendre visible un nombre d'interventions, de constats et de recommandations d'amélioration suffisant pour avoir l'air productif et justifier le salaire qu'il perçoit à la fin du mois. La solution consiste à :

  • multiplier les points qui concernent des sujets politiquement corrects ;
  • mentionner les sujets sensibles en adoptant une formulation qui “noie le poisson” et recourir à / valider, si besoin, les solutions de partage des responsabilités classiques en gestion de projet pathologique (désignation d'un bouc émissaire, changement de périmètre ;
  • et bien sûr rédiger et diffuser en abondance des notes, circulaires, chartes, organigrammes et procédures confirmant le principe de l'indépendance des organes de contrôle au sein de l'organisation.

IMPERATIF N°3: Protéger ses arrières:
Dans un contexte où son existence n'est pas tant liée à son utilité réelle par rapport aux objectifs de l'entreprise mais à son habileté à ménager les sujets sensibles, l'auditeur pathologique peut être lui aussi soumis à l'arbitraire des changements politiques. Il pourra donc:

  • se voir reprocher un jour d'avoir fermé les yeux sur des problèmes réels (par exemple : cas où un nouveau directeur souhaite mettre en difficulté un prédécesseur ou un concurrent potentiel) ;
  • servir de bouc émissaire ou de responsable « final » pour un projet pathologique,...dans le cas où l'on n'aurait personne d'autre sous la main.

Pour se prémunir du danger, l'auditeur pathologique dispose d'un outil de base : le dossier.
Au cours de sa carrière, tout auditeur est un jour ou l'autre mis en présence d'informations sensibles pour l'organisation, c'est-à-dire d'informations qui si elles étaient divulguées pourraient mettre sérieusement en difficulté la société et surtout ses dirigeants (montages financiers, fiscaux, privilèges non justifiés, etc….).

Pour assurer sa survie (« cover your ass »!), l'auditeur pathologique se doit de conserver ce type d'information, non pas tant pour l'utiliser (car le nombre de balles au fusil est parfois limité) mais pour faire planer une menace permanente sur quiconque viendrait lui reprocher de ne pas bien faire son travail (la menace en puissance étant souvent perçue comme plus dangereuse).

CONSEQUENCES

Les conséquences sur l'organisation sont les suivantes :

  • L'organisation ne dispose plus d'un système d'alerte adapté à ses objectifs et à la réalité du terrain : un peu comme si dans un avion, un niveau de risque supérieur était attribué à un repose tête mal plié plutôt qu'à une panne du train d'atterrissage ;
  • Les organes de contrôle ne travaillent pas dans l'intérêt de l'organisation mais dans leur propre intérêt (couvrir ses arrières et justifier de son existence !) ;
  • Lorsque le problème des organes de contrôle n'est pas tant d'apporter des remèdes ou une quelconque valeur ajoutée mais plutôt de trouver des scalps pour donner (et se donner) une apparence d'efficacité, les collaborateurs mis en présence d'un auditeur pathologique auront tout intérêt à dissimuler ou à camoufler des informations utiles au diagnostic dans un contexte sain ; l'attitude des auditeurs pathologiques contribue alors doublement aux dysfonctionnements de l'organisation.

Dans ces conditions, les auditeurs ou inspecteurs pathologiques ne sont pas seulement inutiles ; ils sont aussi et surtout nuisibles à l'organisation.

CONCLUSION

Dans un environnement pathologique, les organes de contrôle s'adaptent et contribuent aux dysfonctionnements du système d'alerte et de feedback de l'organisation. L'impact à moyen et long terme sur une organisation dont la survie repose sur son utilité / rentabilité, est facile à imaginer....

Quant à l'idée selon laquelle les organes de contrôle externes jouiraient de leur côté d'une parfaite indépendance et ne seraient pas sujets aux mêmes déviations, elle demande malheureusement à être examinée à la lumière de certains évènements qui se sont produits dans les dernières années au Royaume Uni, aux Etats Unis ou en Italie.

Dans les faits, aussi bien les organes de contrôle internes qu'externes, privés ou publics, souffrent d'un défaut commun : soit le contrôlé paie directement et légalement le contrôleur soit il le paie moyennant pots de vins, soit encore il l'influence par divers moyens de pression. Beaucoup ont avancé l'idée que les organes de contrôle publics seraient plus indépendants que des entités privées. L'expérience de la Cassa del Mezzogiorno italienne ne plaide pas en faveur de cette hypothèse : il n'était pas rare que des “contrôleurs” de cet organisme public certifient l'existence d'usines et d'activités productives justifiant le versement de subventions publiques, là où ne s'étendaient que des terres incultes....

...COMPLEMENT DU 29/02/08 SOUS FORME D'ANECDOTE

Sans aucune référence (bien sûr) à des événements récents ou moins récents qui conduisent à s’interroger sur "l’inefficacité des contrôles", voici une petite anecdote vécue alors que nous écrivions notre site.

Une des caractéristiques des phénomènes pathologiques est que les dysfonctionnements qu’ils charrient sont tellement patents, tellement évidents même parfois, qu’on est forcés de se demander comment ils peuvent passer si facilement (et apparemment) inaperçus. La question est encore plus légitime quand par malheur, alors qu’il suivait paisiblement son cours, un phénomène pathologique éclate tout d’un coup au grand jour. Comment est ce possible ? Se dit-on. C’est tellement énnooooooooorme !!!! Comment peut on croire que personne, jamais, non, non, vraiment jamais, juré, craché, houhoulala, vraiment vraiment, personne je vous le jure, croix d’bois, croix d’fer, çui qui m’croit pas va en enfer…non c’est vrai, déconnez pas, ...personne a vu, j’vousl’jure, que non que non !

Forts de notre naïveté, nous avons donc adressé une lettre à une personnalité qui en son temps avait étudié un phénomène pathologique connu. Nous voulions savoir si vraiment personne n’avait émis des doutes ou des interrogations au plus fort de l’aventure qu’il décrivait. Et si par hasard quelqu’un avait osé émettre des interrogations, des doutes, des questions : quelle évolution - demandions nous - avait subi sa carrière?"

Faute de réponse après plusieurs semaines, nous avons renvoyé un deuxième courrier, cette fois en RAR.

Cher monsieur blablabla,…

Nous nous permettons de faire suite à une première lettre envoyée il y a quelque temps (5/05/2000) et dans laquelle nous souhaitions obtenir certaines informations sur …..

Nous ne voulons pas vous importuner mais nous craignons avoir manqué de clarté dans notre première lettre et aimerions beaucoup connaître la réponse à la question que nous nous sommes posés à la lecture de votre ouvrage.

Comme nous l’avons écrit, nous nous intéressons à la gestion de projets et plus particulièrement aux projets qu’on pourrait qualifier de "pathologiques" (c’est à dire des projets qui - même dans les cas où ils sont justifiés - sont lancés sur des bases tellement malsaines ou irréalistes, qu’il en résulte de graves dérapages en temps et en argent).

Or, dans ce genre de cas, les processus irrationnels sont tellement visibles, qu’on est forcés de se demander avec stupéfaction comment ces projets peuvent être lancés et maintenus sans rencontrer apparemment la moindre opposition.

A la réponse un peu trop facile et exclusive qui consiste à s’imaginer que de tels projets sont toujours le fait de personnes incompétentes, nous préférons l’hypothèse qu’un des ressorts de ces "processus pathologiques" est la peur,  c’est à dire la crainte ressentie par un certain nombre de subordonnés de voir leur carrière ou leur poste compromis pour s’être opposés à des décisions ou à des options prises en haut lieu, crainte souvent fondée d’ailleurs sur l’expérience.

Nous voulions donc savoir si vous avez relevé, au cours de votre enquête sur …, le cas de personnes ayant formulé une opposition ou une réticence marquée à un stade précoce de ce projet, et si oui, quel cours a suivi leur carrière à partir de ce moment là ?

Cette fois, nous avons reçu une réponse : le destinataire a renvoyé le tout, sans autre formalité qu’un raturage énergique de ses coordonnées sur l’enveloppe non décachetée.

Cette anecdote savoureuse explique pourquoi nous sourions toujours un peu (nous rigolons même franchement) quand on nous critique sur l’absence de solutions dans notre site (voir aussi à ce propos, le postscriptum n°4).

Pour proposer des solutions, il faut d'abord pouvoir approfondir les problèmes, ce qui implique un échange d'information, des questions et des réponses.

Quand un simple citoyen (Bonjour, je me présente Monsieur Dupont de La Masse), de surcroît contribuable de son Etat (pouah! beurk, beurk, sale,..égoïs..pouah...) reçoit une réponse de ce genre sur un sujet connu du public, imaginez quelle  réponse il recevrait sur des sujets beaucoup plus scabreux comme les projets pathologiques et la façon dont des sociétés privées ou publiques se vautrent sans vergogne dans les bas fonds de la mauvaise gestion,...autant de tabous qu'on préfère dissimuler ou maquiller, comme d'autres cachent une maladie honteuse. 

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