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LES SYMPTOMES LES PLUS VISIBLES DES PROJETS PATHOLOGIQUES (2/2)

 

Le silence des organes de contrôle
Le partage des responsabilités 


LE SILENCE DES ORGANES DE CONTROLE

“Offre un bon cheval à celui qui dit la vérité....il en aura besoin pour s'enfuir”. Proverbe terrien

Notre observateur lambda, poursuivant son parcours en terrain clinique, observera un quatrième phénomène typique des processus pathologiques: l'étrange discrétion de ces organes de contrôle qui — dans les sociétés recherchant le profit — sont censés en principe détecter tout dysfonctionnement propre à mettre en péril leurs résultats.

Face aux gaspillages recensés dans les pages précédentes, on pourrait s'attendre à une réaction de ces acteurs ou tout au moins à un intérêt qui les pousserait à se pencher sérieusement sur leurs causes pour proposer des améliorations.

Curieusement, on constatera au contraire que ces organes de contrôle ou d'audit auront tendance à s'intéresser de façon beaucoup plus sérieuse à des problèmes de suspens comptables ou de conservation d'originaux de contrats dans des armoires ignifugées, qu'à des projets qui en arrivent à coûter dix fois plus que ce qui était prévu au départ.

On les verra alors, le nez collé à des listings, pointer des comptes du matin au soir pour rechercher trois francs six sous de suspens, s'acharner sur un comptable qui refuserait d'utiliser les formulaires de service standards, ou faire des rapports détaillés sur les problèmes créés par le non fonctionnement des badgeurs, tandis qu'à deux pas de leur bureau se développent et prospèrent des dysfonctionnements pachydermiques.

Sans doute peut-on résumer cette attitude par la phrase d'un contrôleur qui - interrogé sur un projet en phase pathologique aiguë - constata simplement avec un grand naturel : “tout le monde sait très bien que ce projet va mal ; je ne vois donc pas l'utilité de m'y intéresser”.

Cette attitude des organes de contrôle qui consiste à ne soigner que les patients en bonne santé, en évitant soigneusement les vrais malades, est le propre d'un phénomène pathologique.

Ce faisant, ces services se comportent ni plus ni moins comme un myope qui, le nez collé contre la patte monumentale d'un gigantesque pachyderme, s'essoufflerait à répéter que décidément il ne voit aucun éléphant à l'horizon ! ou bien encore comme un pompier qui s'acharnerait à éteindre un barbecue tandis que la tour infernale se consume dans son dos.

Derrière cette attitude pathologique se jouent en fait les mécanismes suivants (liste non exhaustive):

  • Tout d'abord, les organes de contrôle sont absents de la phase de validation du projet ou ne s'y intéressent pas dans les premières phases de sa mise en oeuvre ; cela peut être dû à de multiples raisons : manque de ressources, manque de compétences, désintérêt pour le sujet, etc..
  • Ensuite, une fois le projet en phase pathologique aiguë, il leur apparaît qu'il est trop tard pour s'y intéresser et qu'il est même beaucoup plus sage de faire comme si de rien n'était, pour éviter d'être accusés de n'avoir rien détecté au départ.
  • Enfin et surtout, remettre en cause les modalités de mise en oeuvre d'un projet reviendrait implicitement à remettre en question (directement ou indirectement) les organes dirigeants qui en auraient validé les bases au lancement.

C'est donc "l'indifférence initiale" de ces “contrôleurs” qui renforce et justifie leur immobilisme par la suite, ainsi que la peur de devoir remettre en cause in fine la “hiérarchie”. Et la peur, on le sait, peut engendrer les pires lâchetés.

Ce dernier point nous permet de mettre en évidence un phénomène de base des processus pathologiques: l'absence d'indépendance des organes de contrôle, dans les faits.

LE PARTAGE DES RESPONSABILITES

Cette neutralisation des organes de contrôle, cet état d'hibernation profonde dans lequel ils plongent, s'accompagne en général d'un dernier phénomène dont l'efficacité est proportionnelle à l'opacité de l'information qui circule sur le projet au sein de la société : le partage des responsabilités grâce auquel le chef de projet parvient à noyer toute trace d'implication dans le résultat...pour ce qui le concerne.

Face au silence des organes de contrôle, les informations relatives à l'état du projet viendront en effet le plus souvent de séances de radio popotins ou de conversations impromptues tenues autour de la machine à café. On citera superficiellement le fait que le projet connaît des problèmes sans trop prendre le temps de les analyser, on plaindra les utilisateurs condamnés à en faire les frais et de ci de là émergera le nom d'un soi-disant responsable ou l'annonce d'un événement qui, dit-on, en expliquerait les retards.

Ce flou artistique qui prédomine est le résultat de l'utilisation astucieuse de diverses techniques, dont trois sont présentées ci-dessous :

La technique du fusible

Le chef de projet désigne dans ce cas un coupable idéal ; il s'agira en général de quelqu'un d'inoffensif qui sans se méfier se sera impliqué plus que de raison dans le projet ; cette technique assez brutale mais efficace ne doit cependant pas être surexploitée, même si l'on connaît des chefs de projet dont la carrière est jonchée de fusibles: s'il dépasse un quota raisonnable de fusibles par an, le chef de projet risque en effet de passer pour quelqu'un de très malchanceux, à force d'être constamment entouré d'imbéciles ou d'incompétents.

La technique de l'anesthésie budgétaire

Il s'agit ici de présenter budgets et plannings de façon à confondre les pistes et à ce qu'il soit rigoureusement impossible de reconstituer les conditions de départ: en principe tout projet bâclé doit avoir en stock quelques tonnes de documents relatifs aux revues successives des budgets et des plannings ; il est dans ces conditions facile de semer Sherlock Holmes lui-même.

Toutefois, certains chefs de projet, profitant du terrain exceptionnellement favorable dans lequel ils évoluent, utilisent parfois des trucs vraiment très enfantins: si par exemple vous avez lancé un projet pour un budget prévisionnel total de 10 MF sur 2 ans et qu'au bout de 10 ans il en aura coûté 100 (MF), il vous suffit de faire habilement disparaître la trace de vos premières estimations et de présenter des budgets annuels de 10 MF pendant 10 ans, en vous arrangeant pour ne pas les dépasser annuellement. Vous n'aurez donc pas dépassé votre budget !

Mais la technique la plus élégante, la plus sophistiquée et pour tout dire, la Rolls Royce du partage des responsabilités, est :

La MONDIALISATION !

Cette méthode, qui se marie très bien avec l'anesthésie budgétaire, consiste à élargir opportunément le périmètre du projet en indiquant qu'il était plus restreint au départ et que les circonstances et les changements subis par l'entreprise ont contraint l'équipe à l'étendre, ce qui était imprévu. Personne ne viendra constater qu'en réalité, un projet prévu sur 5 sites en 3 mois, a fini par n'en concerner que 3 sur 5 ans.

Ces pratiques peuvent sans doute paraître infantiles ; elles sont cependant très efficaces à partir du moment où - comme nous l'avons dit - les organes de contrôle renoncent à jouer le rôle qui leur revient.

A titre de pause, je vais vous illustrer comment un chef de projet spécialisé en projets informatiques décomposés peut présenter les choses après quelques années d'expérience. Mais attention, ne croyez pas que ce talent soit donné à tous. Il demande une technique oratoire maîtrisée et beaucoup de contrôle dans l'art d'éviter les embûches, de survoler les obstacles, de manier l'implicite et de neutraliser les questions...avec la collaboration volontariste - bien entendu - d'organes de contrôle prêts à fermer les yeux avec détermination sur ces contingences.  

clap cinéma“Bien, par rapport à la semaine dernière, nous avons relancé les tests utilisateurs sur le premier site. Ils ne sont pas satisfaisants. Cela n'aura cependant pas d'impact sur l'activité du service et sur le projet puisque le contrat de l'intérimaire embauchée il y a 1 an a été renouvelé pour 12 mois. Sur cette base nous pensons pouvoir lancer les tests sur le troisième site la semaine prochaine, sachant que nous avons déjà contacté le fournisseur pour faire un avenant au contrat et y intégrer les modifications demandées.

Si les tests ne marchent pas nous retiendrons les 10 % que nous devons encore payer au fournisseur sur le montant du contrat total pour faire pression puisque 10% représentent un gros montant, si l'on compte le nombre de licences déjà payées sur les 10 sites pilotes.

Les utilisateurs nous ont aussi indiqué que le système est parfois très lent ; pour être efficaces, nous proposons donc d'installer un serveur supplémentaire en production et nous ferons exceptionnellement tourner les tests sur la base de test, en tenant compte des modifications déjà apportées à la base de production.

Je dois maintenant souligner que le projet est sur le chemin critique et qu'il est désormais impératif que le deuxième site soit lancé dans les deux semaines. Le quatrième site ayant déjà été repoussé après le cinquième, il n'a pas pu jouer son rôle de site pilote prévu initialement mais si le troisième site fonctionne, il n'y a pas de soucis à se faire pour le deuxième qui a la même configuration que le premier, nous pouvons donc aller de l'avant” !

NDLR : Notez SVP le choix des mots et l'utilisation de termes qui ne signifient strictement rien dans ce contexte mais donnent du poids formel à la présentation; et reconnaissez que ce genre de discours demande toujours quelque partun vrai talent d'artiste !

clown

CONCLUSION : Quand le lièvre se transforme en tortue...

Délais impératifs et urgents au départ et retards à l'arrivée ; indifférence des utilisateurs au départ et implication stakhanoviste de ces derniers à l'arrivée ; budgets très stricts au départ et explosions budgétaires indolores à l'arrivée ; dysfonctionnements manifestes avérés et sommeil cataleptique des organes de contrôle...tous ces phénomènes entremêlés et incohérents dans une société qui vise en principe la recherche du profit doivent avoir nécessairement à l'origine des “éléments fondateurs” forts.

Pour les trouver, ces éléments, il faut impérativement repartir de l'acte de naissance du projet, c'est à dire de ses conditions de lancement.

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