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Postscriptum n° 6 : des projets pathologiques aux pathologies des sociétés...

Eléments communs aux processus pathologiques

Dans le présent essai, nous avons limité notre analyse au domaine de la gestion de projets. En élargissant notre champ de recherche sur internet à de nouveaux mots clés (systèmes pathologiques, pathological systems, pathological society, organisations pathologiques, etc, etc…) nous nous sommes aperçus que notre analyse pouvait avoir des liens étroits avec d'autres matières telles que la psychologie, la psychiatrie, la sociologie, l'histoire (étude du développement et de la décadence des civilisations), voire même avec des domaines de recherche encore plus vastes relevant de la philosophie.

Nous nous sommes demandés s'il existait dans tous ces écrits des points communs aux phénomènes pathologiques qui se déclarent dans un organisme sans être provoqués par une cause traumatique externe.

Sans pouvoir parler de “causes”, nous pensons avoir identifié des éléments communs - peut-être d'ailleurs faudrait-il plutôt parler de symptômes ou de «conditions suffisantes» - qui semblent être des constantes dans ce type de processus.

  • Le premier élément a trait à la nature des objectifs que se fixe l'organisme : on peut parler d'un processus sain lorsque ces objectifs sont utiles, réalistes, porteurs d'amélioration et de progrès pour l'organisme, c'est-à-dire en bref, répondant à une exigence vitale (dans le sens d'un processus typique des organismes vivants en cours de développement). En revanche, il y a pathologie lorsque ces objectifs sont porteurs d'un processus inhérent d'auto-destruction.
  • Le deuxième élément est lié au “modus operandi”. Un processus sain prévoit toujours un feedback à chaque étape permettant de vérifier qu'il y a bien cohérence entre les résultats attendus et les objectifs initiaux. Ce feedback tient compte non seulement du processus en cours mais aussi de toute l'histoire de l'organisme et cette dimension historique intervient aussi bien dans la phase de définition des objectifs qu'au moment du contrôle des résultats. Dans un processus pathologique le processus de contrôle subit des distorsions.

Même si nous n'avons pas énoncé formellement ces deux principes dans notre essai, ils sont évoqués en plusieurs endroits et sont sous-jacents presque dans chaque page de notre site.

Un système en “boucle ouverte” ou dans lequel le contrôle des résultats est factice n'est pas contrôlable et a vocation à dériver inévitablement vers son auto-destruction.

Ces considérations touchent à des problèmes théoriques que nous n'avons pas la prétention d'aborder.
Pourquoi à un certain moment de la vie d'un organisme se produit-il un phénomène de décadence et de mort?
La présence d'organismes pathologiques est-elle inévitable voire souhaitable, même dans une société saine ?
Quels liens y a-t-il entre les idéologies, les écoles de pensée, l'organisation de la société civile, le poids des traditions et l'émergence de processus pathologiques dans le monde industriel ?

A partir du petit ruisseau des projets pathologiques, nous avons atteint le fleuve des systèmes pathologiques pour aboutir à l'océan des structures de la société humaine. A d'autres de naviguer dans ces eaux et que le vent leur soit favorable...!

Liens avec les sciences sociales

Les phénomènes pathologiques que nous avons repérés étant propres au corps social, pour en comprendre les mécanismes il faut d'abord comprendre le fonctionnement de ce dernier.

Plutôt que de fournir un échantillon de références bibliographiques sur les sujets que nous n'avons qu'effleurés dans cette page (facilement repérables par une recherche sur internet par ailleurs), nous préférons mentionner les différents champs de recherche que nous avons pu identifier.

Nous sommes d'abord partis des écrits de Bentham et des travaux plus récents de Niklas Luhmann pour nous orienter ensuite vers des travaux s'intéressant aux tendances actuelles en sociologie. Ces travaux utilisent des théories issues de recherches en mathématiques, en psychiatrie ou en biologie. Ils font en particulier référence aux recherches de Wiener (entropie et théorie de l'information) et aux théories des fractales et du chaos. Dans certains de ces travaux sont explorées les similitudes de comportement entre un être vivant et un groupe social dans son ensemble. Certains termes employés sont empruntés aux théories des systèmes contrôlés (feedback positif ou négatif). Le champ de ces sciences est si vaste que nous ne pouvons que nous limiter à les mentionner, en précisant que notre essai n'avait pas d'autre ambition que d'examiner certains (et seulement certains) des aspects pathologiques de notre société humaine.

Les textes que nous avons lu fournissent une grande richesse d'information sur le fonctionnement du corps social et proposent même des outils ou méthodes permettant de distinguer les situations pathologiques ou au contraire les situations saines. Mais dans tous ces écrits nous n'avons pas trouvé d'indications sur la façon dont il faudrait s'y prendre pour porter vers la guérison une société qui serait malade, comme s'il était sous-entendu que cette société doit nécessairement pouvoir se soigner elle-même une fois les symptômes de sa maladie mis en évidence.

Or, si nous devions faire un parallèle entre les cas pathologiques que nous avons étudiés et les processus de déviance ou de dégénérescence mentales propres aux humains, nous pourrions dire que dans les deux cas, le malade ne se rend pas compte de sa maladie et a fortiori n'est pas capable de se soigner tout seul.

A quoi servirait une médecine des processus pathologiques ?

Faut-il alors appeler de nos voeux une science médicale traitant les processus pathologiques, sachant que dans ce domaine, nous avons plutôt l'impression d'en être encore au stade des clystères et des saignées ? Demandons nous d'abord dans quelles conditions une telle science serait possible ou nécessaire.

Nos sociétés évoluées attribuent à la vie d'un être humain singulier une importance qui va parfois même jusqu'aux limites de l'acharnement thérapeutique.

Dans le contexte de la société civile, dès lors qu'on adhère aux idées libérales ou libéristes, on considère en revanche qu'une activité ne se justifie que par son succès ou ses performances. Laissons de côté le fait que le terme “performant” a une signification variable selon le contexte, étant donné qu'un petit groupe de dirigeants “performants” (de point de vue de leurs intérêts personnels) peut avoir un comportement globalement nuisible pour les sociétés qu'ils dirigent. Abstraction faite de la variabilité de certains termes, l'idée que la liberté consiste a faire tout ce que l'on souhaite dès lors que cela ne nuit pas à autrui, trouve ses limites pratiques dans le fait qu'éliminer un concurrent moins performant est considéré comme licite dans le jeu de la concurrence. Dans ce domaine, la cellule sociétaire a un droit illimité à s'étendre, à englober, à neutraliser, voire à éliminer.

Quel rôle une science médicale pourrait-elle jouer dans ce contexte ? un rôle bien limité, car le rôle majeur est dévolu aux sciences juridiques ou sociologiques.

L'activité d'une société peut être encadrée par des règles juridiques et par l'élaboration de concepts de dommages ou profits collectifs et si ces règles sont efficaces, on peut supposer que les organismes pathologiques auront une existence très brève, ce qui en soi revient à respecter la loi de la sélection naturelle. Les organismes malades doivent disparaître. On ne soigne pas le malade ; bien au contraire, on en favorise la disparition.

Dans ces conditions, une étude des pathologies trouverait sa justification - non pas dans la prétention de guérir le malade - mais dans la volonté d'identifier les cas à risques et de convaincre ceux qui dirigent les organisations que seule une conduite saine pourra garantir la survie de ces organisations. Il s'agirait en fait d'une oeuvre de prévention.

Est ce vraiment si simple ?

On pourrait conclure de ce qui précède que nous adhérons à une forme de déterminisme prévoyant des punitions certaines pour les non méritants et des bonus tout aussi certains pour les méritants.

C'est une manière statique de concevoir les choses. Dans la nature, un être humain dans ses premières phases de vie doit forcément se tromper, expérimenter et - dans une certaine mesure - créer du désordre, pour progresser.

Comment concevoir ce “désordre nécessaire” dans nos organisations industrielles ? et comment le distinguer du désordre propre aux processus pathologiques que nous avons analysés ?

Arrivés à ce stade, si nous espérions tirer un profit de notre essai, nous serions forcés devant ce problème que nous ne savons pas résoudre :

  • soit de proposer des solutions factices ;
  • soit de purement et simplement escamoter ou dissimuler le problème.

Nous ne sommes pas dans cette situation et du début à la fin de nos réflexions nous avons rigoureusement respecté la position de l'enfant naïf qui découvre que le Roi est nu !

Nous pouvons donc conclure cette page en disant avec une immuable constance que nous n'avons rien à proposer sur ce dernier problème du désordre créatif.

Bon vent à tous !

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