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Postscriptum n°10 - Toujours plus ! Plus encore ! - Radiographie d'un mal de société

Avant propos

Que nos lecteurs nous pardonnent : notre site prend de plus en plus de liberté avec nous. Des projets pathologiques que nous analysions en 2001, il nous entraîne vers les pathologies des sociétés. C’est dans ce contexte que nous vous invitons à lire les deux ouvrages de M. François de Closets (FDC dans cette page) cités dans le titre.

Un conseil : ne vous contentez pas des commentaires superficiels des médias, des restitutions partiales ou partielles régurgitées par d’autres ou des réactions épidermiques de ceux que ces livres chatouillent ou irritent. Prenez le temps de les lire.

Toujours plus ! Un inventaire des inégalités françaises

Dans les années 80 et alors que des gouvernants dits « de gauche » venaient de prendre le pouvoir, l’auteur dressait un inventaire (non exhaustif) des inégalités françaises. A l’analyse classique des statisticiens qui découpent la société en catégories socio professionnelles réparties par tranche de revenus comme un millefeuilles, l’auteur superposait une vision horizontale intégrant ce qu’il appelait les “facteurs non monétaires” (FNM).

Ces FNM correspondaient et correspondent toujours à des avantages (ou « zakisocio » selon l’expression sacrément consacrée…) obtenus par des groupes sociaux actifs et solidaires organisés en corporations. Dans l’esprit de l’auteur, une corporation était un groupe qui s’organise en position non concurrentielle pour obtenir des avantages créant des disparités de statuts que la crise transforme en privilèges.

Dans cette liste à la Prévert figuraient (et figurent encore !) des primes de tous type, subventions, couverture santé ou régimes de retraite avantageux, régime fiscal favorable, numerus clausus limitant la concurrence…et “last but not least en période de chômage massif”, la sécurité de l’emploi, apanage des fonctionnaires.

Dans ce corporatisme à la française, la revue des plus ou moins grands et divers privilèges non monétaires dont bénéficient certains groupes présente cependant un point commun : les principes ayant présidé à leur attribution. Non pas tant des considérations de justice sociale ou le mérite des bénéficiaires que la position de force des corporations auxquelles ils appartiennent dans la sphère économique ou politique, du fait :
• D’un rôle stratégique,
• De leur pouvoir de nuisance,
• De moyens de pression dont ils disposent,
• D’un environnement non concurrentiel.
• etc

Dans ces conditions, toute tentative de réforme fondée sur des considérations de justice, de pénibilité du travail ou de mérite, plutôt que sur les rapports de force, s’est toujours heurtée à l’opposition de ces corporations. Les deux ouvrages de FDC montrent ainsi comment les gouvernements qui se sont succédés plutôt que de faire que la justice soit forte ont été contraints de faire en sorte que la force soit considérée comme juste, en reculant devant toutes les réactions (ou menaces de réactions) corporatistes, quand ils ne se sont pas appuyés sur ces corporations pour se maintenir au pouvoir dans une optique délibérée de clientélisme électoral sélectif.

Or ces avantages qui pouvaient être anecdotiques à l’époque des trente glorieuses et du plein emploi sont devenus douloureusement injustes dans le contexte de chômage massif que connaît la France depuis trente ans. Car bien qu’étant non monétaires, ces avantages sont bien payés…à commencer par ceux qui n’en bénéficient pas. Les différences monétaires ont été atténuées par un jeu de ponctions-redistributions opéré par les gouvernements successifs, nous dit l’auteur ; par les temps qui courent, ce sont les avantages non monétaires qui prennent toute leur valeur. Ils présentent de plus l’avantage de ne pas être facilement mesurables ; et donc plus faciles à dissimuler.

Mais quand on lit le livre de monsieur de Closets à 25 ans de distance, on est forcés de constater deux choses :

  • D’abord que certains groupes cités comme des exemples de privilégiatures dans ce livre du début des années 80, ne le sont plus aujourd’hui, contexte économique et ouverture à la concurrence aidant.
  • Ensuite que dans les cas où certaines catégories ont perdu leurs avantages, les travailleurs non privilégiés n’y ont rien gagné. C'est un constat amer. L’envie, bien compréhensible que peut susciter l’existence de ces privilèges doit donc être tempérée par cette triste considération.

Alors une question se pose : qui a profité de cette évolution ?

Dans une société saine, un rééquilibrage fondé sur des principes de justice (et non pas sur l’impératif catégorique du “maintien de la paix sociale”) voudrait qu’elle profite à ceux qui travaillent le plus dur. Or, ce qui se dessine ici dans les faits, c’est une perte de pouvoir progressive, constante et générale des travailleurs, une égalisation par le bas pesant d'abord et avant tout sur ceux que l’on devrait au contraire encourager à poursuivre leurs efforts.

Bref, en mettant ce livre en perspective sur 25 ans, nous nous demandions ce que FDC aurait écrit de la France des années 2000. C’est chose faite, puisque l’auteur, devançant notre souhait, vient de publier la nouvelle radiographie de la France : Plus Encore !

Plus encore ! Une confirmation amère

Quel visage offre donc la France d'aujourd'hui ?

Las ! La France fait la grimace. A la lecture du second ouvrage, on est forcés de constater que les inégalités dénoncées dans les années 80, loin de s'être atténuées, se sont au contraire renforcées au gré des gouvernements successifs, qui tout en se payant de mots ont continué à acheter la paix sociale en satisfaisant les prétentions des corporations les mieux organisées…ou les plus “activistes”, tandis que les populations les plus faibles et les plus exposées à la loi du marché ont continué à subir la crise, les grands perdants de l’affaire selon l’auteur étant les jeunes et les travailleurs âgés n’appartenant pas aux secteurs protégés.

C’est un fait. Pour obtenir un avantage en France, il faut pouvoir user de menace et de force et cette notion semble de plus en plus ancrée dans l’esprit des français, qu’ils soient ou non organisés en corporations, au point qu’on se demande s’il ne s’agit pas désormais de modalités de négociation inscrites dans la culture gauloise (peut-être pas que dans la culture gauloise d’ailleurs en Europe).

L’embrasement des cités en novembre 2005 n’est qu’une version assez crue et spontanée d’un pays qui a parfaitement intégré la ligne de partage des eaux entre ceux qui savent que pour obtenir quelque chose il faut user de prétention, de menace ou de force et ceux qui se taisent et se contentent de payer la facture généreusement présentée par des gouvernants dont certains pourraient dire qu'ils pratiquent la reculade comme le pas de tango, soutenus en cela par les corporations les plus protégées, toujours prêtes à descendre dans la rue pour réclamer plus encore de moyens, de solidarité et de générosité payée par d’autres, tout en conservant bien au chaud et bien cachés l’exclusivité de leurs privilèges ou “zakisocio”, selon l’expression sacrément consacrée.

Les français ont pourtant gagné quelque chose en prime à ce jeu du Toujours plus et Plus encore: un endettement public de plus de 1000 milliards d’euros, qu’il faudra bien payer tôt ou tard, ou disons plutôt que ceux qui ont toujours payé jusqu’à présent devront bien finir par solder pour la tranquillité de tous.

Au total, plus encore que la France des années 80, la France des années 2000, passée au tamis des gouvernements dits “de gauche” ou de droite, offre le spectacle d’une France duale dans laquelle les corporations les plus fortes ont consolidé leurs positions tandis que les moins organisés restent condamnés à subir et à payer. Ce qu’il est convenu d’appeler la “fracture sociale” s’est renforcée avec une coupure encore plus nette entre les français insérés dans des corporations offrant des parapluies anti-crise et ceux qui naviguent tant bien que mal dans les eaux troublées des secteurs non protégés.

Une loi du silence qui en dit long

Après la sortie de son premier ouvrage, FDC s’étonnait du peu de suite qui avait été donné malgré un tirage à plus d’un million d’exemplaires.

Par une bizarrerie que la défaillance de l’information peut seule expliquer, Toujours plus !, travail d’un journaliste indépendant, se vit conférer le statut d’un rapport sur l’état des inégalités en France. C’était beaucoup d’honneur, beaucoup trop. Il n’a jamais été dans mes intentions de présenter un tableau exhaustif des situations privilégiées ou pénalisées que l’on rencontre dans notre société
………
Le retentissement du livre eut pour résultat de braquer les projecteurs de l’actualité sur ces privilégiatures alors que celles que j’avais oubliées restaient dans l’ombre….Cela ne se serait pas produit, si la presse, répondant à la curiosité du public, avait présenté les exemples que je n’ai pas retenus et qui sont tout aussi éloquents. Malheureusement, il n’en fut rien. Les médias tournèrent obstinément autour des quelques cas que j’avais mis en avant et ne firent pas le moindre effort pour déterrer les autres…. Dès lors que l’on entreprend de faire la lumière, il conviendrait de la faire partout. J’attends que d’autres dans la presse, l’administration ou les centres de recherche prennent le relais.”

Malheureusement il n’en fut rien.

Parions qu’il en ira de même pour son second ouvrage. Et pour une raison toute simple : c’est que ceux qui auraient vraiment intérêt à ce qu’on parle du sujet et à ce qu’on l’étudie de plus près, encore plus aujourd’hui !, ne sont précisément pas ceux qui détiennent les clés et l’accès aux médias, aux plateaux télé “branchouille” ou aux micros “branchés” devant lesquels on déblatère à l’envie et jusqu’à la nausée sur les “zakisocio” sacrément consacrés, moyens supplémentaires revendiqués, et autres salades pas fraîches en vrac, devant les dérangeurs publics autorisés.

lls ne détiennent pas non plus les cordons des budgets de recherche attribués aux chercheurs. Ces derniers, nous l’avons vu dans notre site, ont bien d’autres choses beaucoup plus importantes à faire dans l’intérêt de la nation. C’est d’ailleurs ce que montre aussi FDC dans son second ouvrage quand il illustre l’extrême prudence avec laquelle deux chercheurs se sont timidement engagés dans l’étude d’une sous-sous-partie bien délimitée du sujet qu’il avait abordé dans Toujours plus.

Bref, ceux qui auraient le plus intérêt à faire la lumière sur ces disparités de statut que la crise a transformé en privilégiatures ne sont tout simplement pas représentés. Ils n’ont pas voix au chapitre, ils n’existent pas. On ne leur demande qu’une chose, c’est de continuer à faire ce qu’ils font très bien et depuis des années : travailler ou subir le chômage (ou sa menace), payer et se taire.

Une pertinence confirmée par l'unanimité des critiques

On peut opposer bien des critiques aux deux ouvrages de FDC, mais il faut reconnaître qu’il expose là un ensemble de faits incontestables. La pertinence “triomphale” quasi granitique de ses analyses nous est donnée de façon lumineuse par tous ceux qui les contestent, parfois en hululant plus qu’en parlant d'ailleurs: dans la majorité des cas, il s’agit de critiques empruntes d’une mauvaise foi évidente et d’une volonté de distorsion délibérée des arguments avancés par FDC. Par ailleurs, la superficialité des rares commentaires que nous avons pu entendre dans les médias est une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de la justesse du propos. “Donne un bon cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s’enfuir”, disions nous dans une partie de notre site.

Une clé de lecture utile

Parmi les autres qualités, les deux ouvrages de FDC présentent aussi l’intérêt d’offrir une clé de lecture de la France contemporaine, en encourageant à s'interroger sur le contenu de termes génériques souvent utilisés à tort et à travers sans réelle explicitation sur ce qu'il désignent :

Ainsi quand on parle de professeurs, de qui parle-t-on ? Du jeune professeur de zone d’éducation prioritaire à qui on ne demande plus d’enseigner grand-chose ou du professeur de lycée tranquille ou prestigieux de Paris ou de Province. Ceux dans lesquels nos gouvernants de droite comme de gauche (ou dits de gauche) mettent leurs enfants.

Quand on parle d’ouvriers, de qui parle-t-on ? De l’ouvrier de l’imprimerie nationale jouissant des avantages de sa corporation ou de l’ouvrier du privé travaillant dans des secteurs ouverts à la concurrence et qui fera les frais le premier des restructurations.

Et quand on parle de patrons ? Qui vise-t-on ? Le patron de PME qui engage sa fortune dans son entreprise et assume les risques de son affaire ou le patron salarié de grande entreprise issu des grands corps et jouissant de rémunérations plus que confortables apparemment inversement proportionnelles aux risques qu’il prend et quels que soient les résultats de l’entreprise.

Les points à creuser sur le diagnostic...

Nous avons tenté plus haut un résumé du premier ouvrage (Toujours PLus!). Pour ce qui concerne la synthèse du second ouvrage (Plus encore !) et les déductions qui en découlent, nous préférons avancer à pas feutrés parce que l’auteur semble parfois se contredire, tout en apportant ensuite des correctifs qui dénouent en partie ces contradictions. Parfois encore il semble partager certaines théories, y compris les plus brutales. Mais même dans ce cas, il ajoute souvent des considérations qui portent à croire qu’il ne partage pas vraiment ces théories mais plutôt qu’il cherche à les mettre sur la table des faits réels : la table du “Les choses sont ainsi faites, que cela nous plaise ou non !”. Ainsi en est-il des passages consacrés à la logique brutale du libéralisme (voir le chapitre sur La France réactionnaire).

Donc dans notre analyse, plutôt que de développer des critiques sur les conclusions de FDC, nous souhaitons pour ainsi dire tenter de rendre un peu plus explicites certaines affirmations de l’auteur, telles que nous les avons interprétées bien entendu.

Les zones à problèmes

L’auteur semble affirmer que les mouvements de novembre 2005 n’avaient pas d’objectifs précis. Nous pensons au contraire que les auteurs de ces faits avaient des objectifs simples et clairs : selon eux, l’Etat ne doit être présent dans ces zones que sous forme d’assistance et de subventions. Toute autre présence n’est pas tolérée. C’est tout. On pense généralement que les auteurs de ces violences sont des “cas isolés”. Il nous semble évident que ces individus évoluent au contraire comme des poissons dans l’eau dans ces quartiers. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal mais d’une mentalité diffuse.

“L’échec scolaire”

FDC constate que rien n’est fait pour éviter l’échec scolaire dans les quartiers difficiles. Il indique ainsi que très peu d’initiatives sont prises pour orienter les jeunes en risque d’échec scolaire vers des filières “courtes” utiles au pays, en leur évitant de devoir vivre sur le dos de ceux qui travaillent : justes considérations.

Il serait utile d’ajouter à notre avis que dans ces zones à problèmes, on fait encore moins d’efforts pour permettre à ceux qui voudraient ou pourraient effectuer un cursus d’études complet de réaliser leur souhait. On pourrait même dire que dans certains milieux dits “progressistes” se niche un ADN caché, doté de protéines racistes bien ancrées, qui conduit nos “pseudo-progressistes”, d’un côté, à se donner bien peu de mal pour les jeunes issus de ces zones, en sous entendant implicitement que de toutes façons ce serait peine perdue, et de l'autre, à exiger avec “vertu” et “progressistiquement” que ces mêmes jeunes puissent néanmoins conduire une vie satisfaisante, aux frais d’une collectivité composée d’individus, que nos “progressistes” considèrent comme assez méprisables tout compte fait.

Créer des filières courtes ne suffit pas à nos yeux : il faudrait se battre pour que tous ceux qui sont susceptibles de réussir dans des métiers intellectuels puissent le faire ; ce qui implique entre autres qu’on accepte un jour de parler autant de “devoirs” que de “droits” dans ces quartiers.

La situation de l’enseignement dans les quartiers sensibles.

Cette situation est intimement liée au problème de l’échec scolaire abordé ci-dessus.
Depuis plus de vingt ans, disons depuis la période faste de 1981, la violence n’a fait que progresser dans ces quartiers, en particulier en milieu scolaire. Dans le milieu dit “progressiste” de l’enseignement, ce phénomène a été constamment masqué et continue à l’être. Rien n’a été fait, à commencer par les milieux dits “progressistes”, pour corriger une tendance catastrophique, sauf bien sûr de minimiser le phénomène avec obstination.

Nous nous trouvons maintenant devant un désastre, un gâchis lamentable d’intelligences et de richesses perdues dont nos pseudo-progressistes sont les premiers responsables. Les premiers. Dans ces quartiers, l’école ne produit souvent plus que des chômeurs subventionnés et violents.

Le problème des fonctionnaires inexpérimentés

FDC – suivant en cela les critiques souvent faites par les médias – relève qu’on envoie souvent dans ces quartiers des fonctionnaires (enseignants, pompiers, policiers) jeunes et inexpérimentés : juste observation qui surprend cependant, en particulier lorsqu’elle vient de milieux “pseudo-progressistes”. On pourrait en conclure que les fonctionnaires expérimentés sont tous des égoïstes indécrottables, désireux de s’installer dans une vie confortable, excluant les défis et renonçant pour toujours à l’ambition (voire la vocation pourtant souvent partagée par de nombreux enseignants) de faire progresser des jeunes destinés à devenir des parasites violents, vers un statut de citoyens à part entière, grâce à ce bien précieux qu’est la connaissance.

Le vrai drame est que si ces fonctionnaires expérimentés évitent soigneusement ces quartiers c’est qu’ils savent qu’il ne s’agit pas de relever un défi, mais d’aller vers un échec plus que certain : que peut faire un policier expérimenté quand il reçoit sur le crâne un parpaing de plusieurs kilos ? Que peut faire un pompier expérimenté quand il reçoit une volée de caillasses tandis qu’il éteint un incendie ? Que peut faire un professeur expérimenté quand au bout d’une heure “d’enseignement”, des élèves lui demandent en guise de conclusion de leur parler de bites et d’oublier le reste, ce qui d’ailleurs est la traduction contemporaine du fameux “Avez-vous du feu ?” de sinistre mémoire progressisto-soixanthuitarde.

C’est précisément parce qu’ils sont expérimentés que ces fonctionnaires refusent d’aller dans ces quartiers. Le problème est ailleurs et il faudrait maintenant sérieusement se demander si des solutions existent encore, après tant de décennies d’incurie et de mépris également distribué par nos “pseudo-progressistes” à l’égard de toutes les populations qui subissent aujourd'hui les conséquences de leur belle irresponsabilité.

La domination du pouvoir financier

Le chapitre consacré à la France réactionnaire est un des plus crus, pour ne pas dire sinistres, écrit par FDC. Comme dans le reste du livre, il s’agit d’une analyse précise. Cette fois pourtant, FDC soulève un problème qu’on ne peut pas éluder : quel doit être le rôle d’un Etat dans un pays démocratique ? Un Etat peut-il adopter une doctrine économique en se limitant à un rôle “d’accompagnateur” ?

La réponse de FDC semble correcte : l’Etat seul est impuissant à contrer les excès de la puissance financière. Certes, mais le problème ne nous semble pas réglé à la base pour autant.

Le rôle d’un Etat dans un pays démocratique nous semble être de viser le bien-être spirituel, matériel et moral de tous les citoyens. Rien ne dit que l’Etat doive se contenter de simples actions d’ajustement ou d’accompagnement face à certaines pratiques financières. Il peut arriver qu’on se trouve même face à une incompatibilité complète entre les objectifs d’un Etat démocratique et ces pratiques financières. Et nous ne parlons pas là de pratiques douteuses ou irrégulières mais de pratiques qu’on devrait admettre comme normales si l’on s’en tenait à l'application simple et brutale de la loi du profit, telle que la présente FDC.

L’Etat ne devrait être ni collectiviste, ni libéral, ni libéraliste. Et nous ne croyons pas aux miracles de l’auto-adaptation ou de “l’ajustement”. L’homme laissé totalement libre de ses actions peut devenir un animal de rapines. Dans de tels cas, il ne suffit pas simplement de “l’accompagner”.

Le chômage

Quelques observations cocasses sur cette partie. Un éminent président de la République affirmait avec un calme olympien qu’on avait tout essayé contre le chômage et que rien n’avait marché. Disons plutôt que ces augustes personnages ont tout essayé et que la France a dû tout essuyer.

Dans ces conditions, certains pourraient trouver curieuse la présence massive et militante aux manifestations anti-CPE de représentants des secteurs protégés, de ces secteurs qui ont précisément contribué, et pas qu’un peu, à rendre aussi précaire la situation des jeunes qui se battent aujourd'hui pour trouver un emploi dans les secteurs non protégés.

De fait, on observe ces derniers temps une tendance de plus en plus forte des catégories les plus privilégiées à manifester bruyamment leur généreuse “solidarité” en faveur de catégories officiellement “non privilégiées” ou dites “démunies” par des actions stériles et propagandistes, tout en conservant jalousement et bien au chaud les avantages et privilèges exclusifs dont elles bénéficient. Comme s’il s’agissait pour les membres de ces corporations de se dédouaner en paroles et à bon compte d’une position privilégiée de moins en moins justifiée à vrai dire.

FDC s’inquiète donc avec raison pour l’avenir des jeunes, c'est-à-dire de ces jeunes qui cherchent un travail à tout prix et qui seront condamnés à une triste situation de précarité. Pour ceux des jeunes que nos pseudo-progressistes auront éduqués dans le désoeuvrement et la violence, la situation sera d’abord un peu moins difficile, tant qu’ils sauront, comme d’autres groupes, utiliser leur capacité de nuisance. Mais ensuite, pour eux aussi, les temps deviendront plus durs.

Le rôle des syndicats.

Cible préférée de FDC, les syndicats ont joué un rôle fondamental pendant plus d’un siècle en faveur des travailleurs. Le problème aujourd’hui ne tient pas tant au fait que les syndicats soient bien plus forts dans les secteurs protégés. Le problème est que l’action syndicale se soit à ce point réduite à un tel rôle, parce qu’elle n'a pas su adapter ses connaissances et ses méthodes à la situation des sociétés évoluées. La position des syndicats dans une société moderne est extrêmement difficile. Il faudrait un effort immense pour qu’ils reprennent le rôle bénéfique qui était le leur jusqu’à il y a quelques décennies.

Le problème de la dette publique

FDC s’inquiète à juste titre de l’énormité de la dette pesant sur le pays : 1000 milliards accumulés par de brillants politiques, tous issus des meilleures écoles et des meilleures familles pourtant et qui ne pensaient qu’au bien du pays. Qui paiera ? demande l’auteur.

La solution est toute simple, pourtant. Ceux qui paieront, ce sont ceux qui ont toujours payé et qui continueront à payer avec discipline et en silence, tant que leurs forces leur permettront de travailler pour ce faire : j’ai nommé la petite bourgeoisie, qui tout en constituant la grande majorité de la population en Europe a réussi l’énorme exploit de n’être représentée politiquement parlant par personne. Evitons ici de parler de “classes moyennes”, expression qui ne sert qu’à brouiller les idées et à refuser une identité à une catégorie bien homogène de la population, tant elle inspire de mépris à nos élites “progressistes”.

Il nous faut donc maintenant saluer par anticipation et pour l’occasion l’interprétation brillante que fera la petite bourgeoisie dans son meilleur rôle : payer la dette et se taire.

Bien sûr, vue l’ampleur de la tâche et vus les sacrifices qu’elle devra supporter à coups d’augmentations d’impôts et à force de réductions des “zavantajsocio” qu’il faudra bien réserver aux “plus démunis” (ce n’est que justice…), peut-être faudra-t-il s’attendre à quelques réticences de sa part. Comme dans toute médecine cependant, le mode d’administration peut emprunter plusieurs voies. Et si le patient refuse la voie orale, on peut toujours tenter le clystère, n’est ce pas ? Pour cela il suffira d’un bon papa ou plutôt d’une bonne maman (tiens pourquoi pas ?) qui lui chanteront des berceuses ponctuées de mots doux: solidarité blabla, égalité glouglou, respect tsointsoin, espoir, espérances et sécurité, zakisaucisses, ordre et choucroute, salades, justice, laitue chérie et tutti quanti, avant d’administrer d’un geste svelte et sûr ce qu’il faut de médecine pour remettre les finances du pays en ordre.

Toujours est-il que la facture sera payée et nous savons par qui. Dans ce grand vaudeville tragi-comique, où les mêmes hommes et femmes politiques se succèdent et se re-succèdent, sortis par la porte et rentrés par la fenêtre, seule la petite bourgeoisie traversera la scène en innocente, à peine gênée par l’énorme clystère qu’on lui aura collé au derrière...quand elle prendra le temps de s’asseoir pour souffler. Courageuse petite bourgeoisie, toujours excellente dans son rôle favori : le cocu politique. Comme d’habitude, comme toujours, elle sera la seule à ne pas savoir.

La génération prédatrice

Toujours sur l’énorme ampleur de la dette accumulée par la France, FDC semble vouloir accuser tous ceux qui appartiennent à la génération du baby boom d’avoir pillé le patrimoine de la nation et d’en avoir compromis l’avenir, à commencer par celui des jeunes. Il nous semble que le jugement de FDC concerne d’un côté des comportements qui vont bien au-delà d’une seule génération et de l’autre côté ne vise pas à accuser toute la génération du baby boom dans son ensemble. L’idéologie destructrice puise ses racines dans une période bien antérieure aux trente glorieuses. D’autre part, le sort réservé aux chômeurs, en particulier les chômeurs âgés issus du baby boom, ne permet pas de les qualifier de “prédateurs”.

Le jugement de FDC nous semble global : chacun de nous, est plus ou moins responsable du désastre actuel et en particulier d’avoir favorisé ou de ne pas avoir empêché le pillage de ces biens qui manqueront aux générations futures.

...et sur ce qui va bien ?

Nous devons le reconnaître : FDC nous semble plus convaincant quand il nous expose ce qui va mal que lorsqu’il analyse les succès parfois engrangés au sein de sociétés conservato-capitalistes.

Le succès démographique

FDC constate que la France est un des rares pays européens à être parvenu à freiner le déclin démographique. Malheureusement les chiffres et les pourcentages ne disent pas tout. Nous sommes arrivés en Europe, et en France aussi, à cette situation absurde qu’il est moins stressant pour certaines catégories de la population de mettre au monde de nombreux enfants en étant chômeurs assistés, qu’en ayant un travail non protégé. Le cas de chômeurs assistés qui s’installent et ont une descendance nombreuse est de plus en plus fréquent. Au sein du monde du chômage, les distorsions du système reflètent celles de la société : pour certaines catégories de la population le chômage est vécu comme un enfer sans fin, tandis que pour d’autres catégories mieux protégées et disposant d’un pouvoir de nuisance, le chômage présente sans doute des inconvénients mais aussi des avantages. Dans certains milieux, le chômeur arrive en additionnant toutes les subventions ou les aides reçues par atteindre un niveau de vie meilleur que celui d'un travailleur au SMIC. Dans ces conditions, une descendance nombreuse, loin d’impliquer une charge et des sacrifices, donne droit à des contributions et à des aides supplémentaires.

A l'opposé de cette situation, on trouve des dizaines de milliers d'hommes et de femmes qui travaillent et n’ont pas droit à un toit pour autant, et qui doivent se contenter dans la plus grande indifférence de caravanes déglinguées et de camping de fortune, parce qu'il s'agit en général de personnes paisibles n'ayant aucun pouvoir de nuisance et dont aucune organisation dite "humanitaire" ne s'occupe sérieusement. Dans cette situation extrêmement précaire, il est peu probable que ces hommes et femmes participent au succès démographique dont FDC se félicite.
 
Etant donné qu’il est impossible d’analyser en détail ce fameux “succès” démographique, il convient d’observer une certaine prudence en la matière.

Le renouveau industriel

Dans un autre domaine, FDC cite certaines entreprises comme Renault comme des exemples d’industries qui ont su relever le défi et se relancer. FDC analyse bien le processus de remise en route opéré, parfois de façon exemplaire, par des managers de premier ordre et qui ont fait passer leur entreprise d’une situation de pré-faillite à une situation prospère…entre autres en licenciant à forte dose d’ailleurs. Comme toujours l’analyse est excellente. Pourtant, on relève dans une tournure de phrase de l’auteur sur un ton anodin que les choses ne se sont pas si mal passées pour les employés puisque l’Etat est intervenu par des dispositifs de préretraites et d’aides diverses. Très bien, sauf qu’une fois de plus, l’Etat, c'est-à-dire le contribuable, a dû mettre la main au portefeuille pour “accompagner” ce genre de politique managériale : il a rempli une fonction d’auxiliaire du système capitaliste. Dans les cas cités par FDC on peut sans doute penser que la communauté y a trouvé son compte (Renault). Il est d’autres cas dans lesquels les industriels ont fini par fermer boutique et par partir sous d’autres cieux (délocalisés), après avoir englouti les subventions et les contributions que l’Etat leur avait généreusement accordées.

Annexe : les lois de l'inégalité

(in Toujours Plus ! François de Closets - Chapitre L'inégalité française - page 26 de l'édition du Livre de poche - 1982)

  • Seule la prise en compte simultanée des Facteurs monétaires (FM) et non monétaires (FNM) permet de définir la condition des individus.
  • L’inégalité s’observe à partir des corporations et imbrications de corporations qui s’organisent autour des avantages.
  • La condition de chacun correspond autant à la puissance de sa corporation qu’à son mérite personnel. Cette puissance tient aux moyens de pression et aux possibilités d’organisation et pas seulement au mérite ou à la combativité des intéressés.
  • La répartition des Facteurs Non Monétaires (FNM) suit les règles comparables à celles de la bataille pour l’argent, en sorte que les inégalités tendent à se cumuler d’un système à l’autre.
  • Les inégalités monétaires sont donc généralement amplifiées et non corrigées par les FNM.
    Ceux qui touchent les plus basses rémunérations n’ont que des FNM négatifs.
  • Les corporations dont on entend beaucoup parler sont souvent celles qui ont beaucoup reçu. La misère est silencieuse.
  • En période de crise, l’argent se dévalue et les droits se valorisent, en sorte que les secondes inégalités deviennent plus importantes que les premières.
  • Toute réduction des inégalités monétaires accroît l’importance des inégalités non monétaires.
  • Depuis quelques années, les inégalités monétaires tendent à se réduire et les inégalités non monétaires à s’accroître. Ce sont elles qui posent le plus grave problème de redistribution pour l’avenir.
  • Les corporations, ayant intérêt à se faire plaindre plutôt qu’envier, défendent jalousement le secret sur leurs avantages.

Note utile : jusqu'à présent, nous avons laissé notre adresse email sur ce site pour permettre aux lecteurs de réagir. Au vu des retours que reçoit Monsieur de Closets pour avoir dit deux ou trois vérités, nous avons préféré supprimer ce lien pour des raisons préventives. Vu le niveau et la qualité de ces “productions” nous préférons épargner à leurs “auteurs” la peine d'honorer de leurs “écrits” nos modestes personnes. De plus, par générosité naturelle, nous préférons que l'attention de ces personnes se porte sur Monsieur de Closets qui le mérite bien.

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