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LES CONSEQUENCES SUR L'ORGANISATION

 

La multiplication des procédures
L'émergence du Génie


LA MULTIPLICATION DES PROCEDURES

“Rajoutez m'en dix kilos monsieur Gutenberg” - Histoire universelle et scientifique des procédures - tome 10.

Dans les pages qui précèdent, nous avons vu comment le conservatisme des dirigeants et l'environnement de l'entreprise peuvent enclencher des processus pathologiques dans l'organisation.

Nous avons vu aussi que ces processus se renforcent entre eux et contribuent ainsi à favoriser l'éclosion de nouvelles pathologies : face au développement de projets pathologiques, les dirigeants ne reçoivent en effet aucun signal d'alarme fort les incitant à redresser la situation, en particulier de la part des organes de contrôle ; tout au plus constateront-ils de très loin que les projets - une fois de plus - n'avancent pas comme prévu.

Or, lorsqu'un problème se présente et que sa résolution demanderait la mise en oeuvre d'actions pratiques qui risquent de créer des mécontentements et des résistances, que faut-il faire ?

Lorsqu'une organisation à pathologies constate qu'elle éprouve des difficultés à mener des projets selon les conditions édictées au départ, que fait-elle ? La réponse est simple : UNE PROCEDURE !

C'est là ce qui fait d'ailleurs tout le sel des projets pathologiques, car il ne faut pas croire que procédures et méthodes soient absentes et proscrites du milieu naturel de ce type de projet...tout au contraire.

La persistance des projets pathologiques dans un environnement où les procédures abondent est même un trait caractéristique de ce type d'organisation. N'est-il en effet pas plus simple pour un responsable de régler les problèmes à coups de papier plutôt que de les traiter sur le fond et de façon pratique ?

La plupart des participants à un environnement pathologique sauraient nous expliquer à tous dans les moindres détails et de façon magistrale quelles sont les règles à suivre dans la conduite des projets. Ce n'est pas la science qui manque en la matière, mais plutôt son application qui fait défaut. 

On serait ainsi étonné de la minutie des notes, des procédures et des circulaires de toutes sortes produites sur le sujet dans les organisations riches en projets pathologiques. Il y a un problème dites-vous ? La solution est simple : “écrivez une procédure !”

Au chapitre premier d'un livre illustre que nous vous recommandons (Les Fiancés. Alessandro Manzoni), l'auteur, écrivain italien du XIXème siècle, raconte la rencontre inopinée entre un curé un peu couard et deux bandits à la solde d'un puissant. Ces bandits, appelés des “braves” étaient une espèce particulière de brigands faisant office de police parallèle privée et qui florissait en Lombardie au XVIIème siècle, époque à laquelle se situe le roman.

L'auteur décrit donc de façon savoureuse comment les autorités espagnoles (de l'époque) entreprirent de mettre fin aux exactions commises par les « braves »...à coups d'édits et de proclamations retentissantes.

Nous ne pouvons que vous inviter à lire ce passage exemplaire dans lequel se côtoient la multiplication d'édits autoritaires et catégoriques de toutes sortes sommant les braves de se plier à LA LOI, de se rendre et de se dissoudre, de disparaître et de se soumettre... et l'augmentation confortable et imperturbable du nombre...de ces bandits.

Ainsi l'auteur finit-il par souligner discrètement la complicité de fait qui existait -de façon compliquée et tortueuse sans doute- entre les autorités de l'époque et des bandits mercenaires...; car ces “sbires” servaient le plus souvent les intérêts de personnages puissants. “C'est ainsi qu'allaient les choses au XVIIème siècle....!” - écrit Manzoni - c'est à dire en un temps révolu, bien entendu... NDLR : Pour ceux qui souhaiteraient aussi savoir comment on traitait les “fusibles” à l'époque, nous vous conseillons la lecture d'un autre ouvrage (du même auteur mais bien plus court): Histoire de la colonne infâme.

Et bien dans les projets pathologiques, les procédures et les méthodes sont tout aussi nombreuses et inefficaces que ces édits du XVIIème siècle...et pour les mêmes raisons : parce que les acteurs de l'organisation s'accordent en réalité pour considérer que rien ne les oblige à appliquer la “Loi”.

C'est que dans les organisations saines, on commence d'abord par gérer les projets de façon saine ; tout le reste (contrôles, procédures, outils de pilotage) vient tout naturellement par la suite, à titre de support.

Les organisations à pathologies cultivent au contraire simultanément l'abondance des procédures et la tendance régulière à gérer les projets de façon malsaine et à en alimenter les symptômes, comme s'ils correspondaient à un état “normal” de l'organisation.

Pour l'anecdote, si vous avez l'occasion de visiter un jour une organisation à pathologies, faites vous donc inviter à une réunion Méthodes, Qualité ou Procédures, selon ce qui vous amusera le plus.

clap cinémaLe best of du projet Procédures (extrait)....Première !

Vous êtes réunis aujourd'hui dans le cadre du projet procédures. Le document que vous avez sous les yeux constitue la première étape d'une démarche ambitieuse et réaliste. Ce document détaille clairement comment les procédures s'organisent dans notre société....Pour simplifier et faciliter nos échanges, nous l'appellerons la procédure des procédures.
Par souci de clarté, nous avons décidé d'accompagner la procédure des procédures par une procédure détaillant précisément sa mise en oeuvre ; elle portera pour simplifier le nom de procédure de mise en oeuvre de la procédure des procédures.
Tout ceci doit bien sûr prendre place dans un cadre méthodologique rigoureux. Nous diffuserons donc avant toute chose la procédure de rédaction de la procédure de mise en oeuvre de la procédure des procédures.
Après avoir clarifié ces quelques termes, nous pouvons dire en résumé ce qui suit :
Toute procédure s'inscrit dans le cadre du projet procédures tel que défini par la procédure de mise en oeuvre de la procédure des procédures, procédure qui s'appuie sur la procédure des procédures, enrichie pour simplifier par la procédure de rédaction de la procédure de mise en oeuvre de la procédure des procédures. Il va de soi - vous l'avez tous compris - que ces différents documents devront s'inscrire dans une démarche cohérente, réaliste, simple et de bon sens. C'est pourquoi toute modification à l'une ou l'autre de ces procédures devra être reprise dans les autres procédures qu'il s'agisse de la procédure des procédures ou de l'application de cette procédure ou encore de la procédure de mise en oeuvre des procédures susmentionnées ou même plus clairement de la procédure de rédaction de la procédure de mise en oeuvre des différentes procédures ou d'ailleurs même, pour rester simple, de la rédaction elle même de toute procédure de rédaction ou plus simplement de toute procédure purement et simplement....
Je tiens à souligner ici que le terme “réalisme” utilisé plus haut s'entend de façon dynamique : en effet dans le cas où la réalité ne correspondrait pas à notre doctrine, y compris dans les procédures, il conviendra tout simplement de corriger la réalité pour qu'elle s'aligne sur la doctrine. Notre doctrine tiendra ainsi pleinement compte de la réalité, une fois celle-ci modifiée selon nos besoins....

NDLR : Au cours de cette réunion ont été recensés dans l'ordre un suicide avorté, deux attentats manqués et trois tentatives d'évasion dont une réussie. Le fugitif, un subversif récidiviste est toujours recherché.

Voilà, vous savez tout ce qu'il faut savoir sur le contrôle, les procédures et la qua...la quaqua...la qualité...en milieu pathologique.

L'EMERGENCE DU GENIE

D'une efficacité inversement proportionnelle à son abondance, la procédure représente en milieu pathologique le dernier rempart possible de résistance au changement. Elle permet de contourner les problèmes mais ne les résout pas. 

Devant la persistance des problèmes justement, les dirigeants de la société finiront par cultiver pour le personnel de leur entreprise une estime très relative et tendront à devenir de plus en plus méfiants et conservateurs vis à vis de quiconque en interne leur proposerait des “nouveautés”, contraignant ainsi tout chef de nouveau projet à tricher encore davantage et à présenter des budgets et des plannings toujours plus “serrés”.

Cependant, la nature ayant horreur du vide, et le progrès étant inéluctable, ces dirigeants finiront par sentir de plus en plus fortement la pression du changement dans l'environnement de leur société et ils devront tôt ou tard abandonner leur position d'immobilisme rigoureux et prudent.

C'est à ce moment là qu'intervient un acteur majeur des processus pathologiques : LE GENIE !

A quoi sert le génie dans les processus pathologiques ?
clown à ressorts

Acteur providentiel d'un scénario de changement dont les différents dirigeants éprouvent l'inconfort, le génie se présente comme un substitut aux responsabilités des dirigeants, celui qui vient à point nommé leur donner l'occasion d'abdiquer le pouvoir, le temps de passer un cap d'adaptation difficile

En l'occurrence, un groupe de dirigeants, précisément parce qu'il ne veut courir aucun risque, sera conduit avec grand soulagement à faire aveuglément confiance à quelqu'un, à partir du moment où il aura été établi qu'il s'agit d'un génie ; car par essence le génie pourra résoudre brillamment toutes les situations que les dirigeants ne se sentent pas en mesure d'affronter.

Symptôme et conséquence tout à la fois des processus pathologiques, le GENIE exprime en un mot toute la difficulté que peuvent éprouver des dirigeants conservateurs devant la pression du changement.

La fameuse affaire des “avions renifleurs” qui défraya la chronique au début des années 1980 pourrait être un exemple type de ce genre de processus. Ce récit dans lequel on voit deux “inventeurs” convaincre du bien fondé de leur “invention” des personnages qui étaient loin d'être naïfs et inexpérimentés, semble être une bonne illustration du rôle joué par le génie dans une situation de crise (des avions qui reniflent le pétrole par tous temps,...quelle découverte inespérée !). Il s'agit cependant d'un épisode somme toute très anecdotique, au regard d'autres drames plus sanglants et plus meurtriers, où l'on a vu des “führer” ou des “duce” être considérés comme les hommes de la situation. 

Cependant, quelle qu'en soit sa gravité, et quelles qu'en soient les conséquences,le premier ressort de ce mécanisme reste l'impérieuse nécessité ressentie par des dirigeants conservateurs de se décharger de leurs responsabilités,...le temps d'une crise.

Par génie, on n'entend d'ailleurs pas seulement un individu mais aussi toute idée miracle ou expression apparemment porteuses de modernité ou de nouveautés :

  • “synergies” mal préparées et mal digérées ;
  • “ optimisation” dont les critères sont évanescents ;
  • “ externalisations” mal préparées et mal digérées ;
  • “ consultants-miracle” censés apporter des solutions tous terrains ;
  • "agilité" mal comprise et mal appliquée ;
  • e-quelque chose” dont on se gargarise;
  • ou “idée brillante” qui consiste à nourrir les bovins avec des farines animales pour "résoudre" un contentieux commercial ennuyeux avec les Etats-Unis ...

...bref, tout concept suffisamment large et confortablement vague susceptible de dissimuler derrière des mots l'absence réelle d'idées ou d'activité à l'intérieur d'une organisation.

Le génie va et vient, enfle et tourbillonne, passe de bouche en bouche, gesticule, argumente bruyamment et fait parler de lui...en somme il vibrionne et fait du vent...mais c'est précisément comme cela qu'il emporte l'adhésion.

C'est ainsi que se résume la vie du projet pathologique né dans le terreau du conservatisme et prospérant sans inquiétude dans des méandres budgétaires, dans une débauche de temps et dans l'illusion rassurante du génie providentiel, refuge inespéré contre la peur des responsabilités qu'éprouvent les dirigeants. Après la psychologie des masses populaires, sans doute les sociologues devraient-ils donc un jour s'intéresser de plus près à ce nouveau domaine d'études très prometteur et curieusement délaissé qu'est la psychologie des masses dirigeantes.

CONCLUSION

Nous avons analysé jusqu'à présent les mécanismes qui alimentent les projets pathologiques dans une organisation ; nous avons vu aussi comment une société peut se défendre contre le changement, le considérer comme un élément de désordre et mettre en oeuvre toute une série de gesticulations et de fuites en avant pour l'éviter (procédures, génie...).

Ce faisant, nous avons décrit l'attitude et les décisions pathologiques des différents acteurs non pas comme des décisions individuelles prises de façon autonome en dehors de leur contexte, mais comme une façon pour eux de se conformer au mieux au fonctionnement de l'organisation dans laquelle ils évoluent. Fonctionnement vécu comme un état normal de la société et que tous s'attachent à préserver et à protéger d'initiatives qui risqueraient de le perturber et de créer le désordre et le chaos.

Que faut-il conclure alors d'une organisation dans laquelle les processus d'alerte vitaux ne fonctionneraient plus et où auraient été neutralisés les mécanismes d'adaptation propres à en assurer la survie ?

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