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"EXEUNT OMNES" : DÉCHÉANCE ET MORT D'UNE ORGANISATION

 

Préambule
La déchéance et la fin

  • L'incapacité à se renouveler
  • La divergence entre intérêts individuels particuliers et intérêt collectif
  • Le problème du diagnostic et du remède
  • Après la fin....

Révolutions ou involutions ?


PRÉAMBULE

Nous sommes partis jusqu'à présent de l'hypothèse implicite selon laquelle l'organisme (entreprise, organisation, ou autre) possède a priori en soi les ressources nécessaires à son adaptation et à sa guérison. Dans le cas d'une organisation, ce principe justifie d'ailleurs très souvent l'intervention de consultants dont l'action repose sur l'idée qu'une organisation ne périclite que si “rien n'est fait” pour l'éviter. Dans cet esprit, il serait donc toujours possible de “faire quelque chose”.

La nature veut cependant que tout organisme, quel qu'il soit, ait un cycle de vie qui le porte de la naissance à la maturité, puis à sa disparition.

Cette loi de la nature est vraie dans tous les cas, qu'il s'agisse d'organismes vivants ou d'entreprises commerciales. A moins d'ériger en principe le mythe de l'éternité pour les organisations, on doit donc reconnaître qu'une entreprise vieillit et finit par mourir, au même titre qu'un organisme vivant.

Cependant, alors que les manifestations du déclin sont très visibles sur les organismes vivants (à commencer par l'espèce humaine), elles sont – bien qu'inéluctables - beaucoup moins claires dans le cas des organisations “industrielles”.

En effet, les symptômes qui pourraient permettre de diagnostiquer le déclin physiologique inéluctable d'une entreprise, se confondent souvent avec les stigmates de processus pathologiques passagers et réversibles. Sans doute existe-t-il des caractéristiques précises propres aux processus pathologiques irréversibles dans les organisations, mais nous devons reconnaître ne pas les avoir repérées.

Nous ne pouvons donc que nous limiter à un certain nombre d'observations, en précisant que notre analyse porte sur les cas pathologiques exclusivement, et non pas sur les cas où la société disparaît pour d'autres raisons.

LA DÉCHÉANCE ET LA FIN

Dans un organisme sain (ou du moins jeune), les différents éléments qui composent cet organisme travaillent de façon solidaire à assurer le bon fonctionnement de l'ensemble et son adaptation à l'environnement. Lorsque l'organisme subit en revanche un processus de déchéance irréversible, on observe en général qu'il n'est plus en mesure de se renouveler et qu'au-delà d'un certain stade, non seulement les cellules ne coopèrent plus pour assurer la survie de l'ensemble, mais elles travaillent en pratique à la destruction de l'organisme.

Sans faire de “physiologisme” à outrance, on est bien obligés de reconnaître que certains phénomènes pathologiques dans les organisations sont très proches de ce schéma.

L'incapacité à se renouveler

Cette incapacité se traduit pour une organisation par l'incapacité à se remettre en cause. Dans un célèbre roman du XXème siècle (Le Guépard de T. di Lampedusa) le personnage principal (le Prince Salinas) donne une très belle illustration de ce phénomène: il n'est plus nécessaire de changer quoi que ce soit lorsqu'on est parfait - dit-il - et dans un tel cas on s'active plutôt à mettre en oeuvre tous les changements qui garantiront dans les faits l'absence totale de changement. C'est ce qui nous a fait dire dans les pages précédentes que résistance au changement et immobilisme ne sont pas nécessairement synonymes d'inactivité et que bloquer le changement demande parfois beaucoup d'inventivité.

La divergence entre intérêts individuels particuliers et intérêt collectif

Dans une organisation saine, on peut remarquer que les individus les plus capables et les plus compétents s'appliquent à faire progresser l'organisation en même temps qu'eux mêmes. Dans cette situation, intérêt individuel et intérêt collectif sont solidaires et vont de pair.

Par contre, dans les organisations sujettes à des processus dégénératifs irréversibles, les individus doivent pour survivre nécessairement faire abstraction de l'intérêt commun ; pour être maintenu, le lien entre intérêt individuel et intérêt collectif doit en effet se nourrir d'un enjeu commun, mais lorsque le bateau coule, les plus adroits sont ceux qui se soucient le moins de l'intérêt collectif.

Sur ce point, C. Northcote Parkinson considère que la dégradation d'une organisation est liée à la médiocrisation générale des individus qui la constituent ; ce qui supposerait implicitement que les éléments les plus capables de la société agissent toujours dans l'intérêt général.

Nous pensons que dans les processus dégénératifs irréversibles, les éléments les plus capables et les plus brillants de la société contribuent de façon “intelligente” à la destruction de l'organisation, en s'adaptant à son “histoire”.

Cette loi naturelle s'observe dans tout groupe humain en phase de déchéance irréversible, et pas uniquement dans les organisations “industrielles”. 

Certains pourraient observer que les individus qui participent à un processus pathologique réversible travaillent aussi en tout ou partie contre l'intérêt de leur organisation (ce qui est indiscutable), mais il s'agit là d'un tout autre phénomène, circonscrit au seul périmètre de ce processus pathologique. 

Le problème du diagnostic et du remède

En raisonnant superficiellement, on pourrait penser que dans le cas d'une organisation souffrant de pathologies, la mise en oeuvre de méthodes, de réformes ou de procédures pourrait toujours changer le cours des événements ; et comme nous l'avons dit, certains consultants en organisation justifient leur intervention (rémunérée) par cette conviction.

Cependant, lorsqu'un organisme est en phase de déchéance irréversible, ces méthodes, ces réformes et ces procédures ne sont que des gesticulations qui, dans la pratique, aggravent son état et accélèrent sa disparition. Tout au plus pourrait-on envisager de “l'accompagner” dans sa fin.

Toute la difficulté consiste donc à déterminer à quel stade pathologique se trouve une société. Est-on en présence de symptômes pathologiques “parasitaires” comme on peut en observer parfois dans les entreprises où certains départements dits de “support” vivent simplement en consommant (ou en gaspillant) l'argent gagné par d'autres ? Ou bien observe-t-on des processus dégénératifs confirmés qui se développent au coeur même de l'activité de l'entreprise ? Par quels secteurs débutent les signes de la déchéance dans une organisation ? Comment les détecter et comment en mesurer l'avancement ?

Le devoir des spécialistes en organisation devrait donc être dans le futur de déterminer si l'organisation sur laquelle ils travaillent peut être réceptive aux conseils en management qu'ils prodiguent et aux méthodes et procédures qu'ils proposent, ou bien si – entrée dans un processus de déchéance - il lui est désormais impossible d'intégrer ces méthodes.

Dans ce second cas, ces spécialistes ou consultants, se comporteraient comme des parasites s'ils s'obstinaient à proposer leurs services en se faisant rémunérer, car ils ne feraient en pratique qu'accélérer un processus de déchéance dont ils auraient déjà observé les effets.

D'un autre côté, on pourrait aussi considérer qu'en s'activant et en accélérant la mort d'une entité désormais condamnée, ces intervenants (souvent brillants) ne font que contribuer à ouvrir la voie à des organisations et à des structures plus jeunes et plus adaptables.

Après la fin...

Au chapitre XX du troisième livre de Guerre et Paix, Léon Tolstoï décrit l'entrée des Français dans une Moscou abandonnée de ses habitants. Tolstoï compare ce grand corps presque vide à une ruche d'abeilles que la reine aurait abandonnée. Encore de l'agitation, encore du mouvement, quelques mouches pillardes y font des incursions furtives ; mais plus d'activité, plus de renouvellement, plus que des débris de miel mêlés à une odeur de pourriture, bref...plus de vie.

Que la société périclite naturellement ou qu'elle soit aidée en cela par l'action volontariste des spécialistes en organisation ou de ses éléments les plus “brillants”, dans tous les cas cela ne peut qu'aboutir à la cessation de l'activité de cette société, à sa liquidation et au licenciement du personnel.

Font exception à cette situation, les sociétés qui - pour des raisons variées (concentration massive de personnel “pistonné”, situations syndicales très favorables, imbrication étroite entre public et privé, etc...) - sont maintenues en vie par voie d'acharnement thérapeutique. Ces situations, fréquentes en Europe, n'entrent cependant pas dans le champ de notre étude et nous nous limitons ici aux cas qui ne souffrent pas de “distorsions”.

Après la fin, les “cellules” de l'organisation s'emploient donc à trouver ailleurs une nouvelle situation.

Trois cas de figure se présentent alors :

  • Les éléments nuisibles. Ces individus qui bénéficient le plus souvent d'une position confortable grâce à des réseaux d'amitiés, au piston ou à toutes autres formes de copinage, utiliseront très rapidement tous les appuis dont ils disposent pour se recaser au mieux de leurs intérêts.
  • Les éléments brillants. Ces éléments - dotés d'un sens aigu de l'adaptation - se seront mis en mouvement très tôt pour retrouver une nouvelle situation dans laquelle ils seront reconnus et où on saura les utiliser de façon avantageuse.
  • Les “ni-ni”. Ces personnes - souvent liées à leur société par des rapports de confiance (quasi) réciproque - ne comprendront pas bien dans quel genre de processus elles se trouvent embarquées et seront les moins bien préparées à affronter la disparition de l'organisme dont elles faisaient partie ; elles subissent donc presque toujours les dures conséquences de ce type de situation.

RÉVOLUTIONS OU INVOLUTIONS ?

Prenons maintenant un peu de distance par rapport au sujet qui nous occupe, et au-delà de cet horizon, intéressons-nous à l'histoire récente de notre continent, l'Europe, dont certains se demandent si elle ne serait pas entrée dans une phase de déchéance (irréversible ?).

A défaut de jugement tout fait sur cette question, nous allons nous permettre de soulever quelques points...qui pour le moment resteront sans réponse.

Depuis la dernière guerre (1939-1945), l'Europe a bénéficié d'un développement remarquable dans tous les domaines et ces progrès réalisés en période de paix ont accompagné la création d'un vaste espace économique sur lequel beaucoup fondent de grands espoirs.

Cependant, il est aussi indubitable qu'on assiste dans de nombreux secteurs à des signes de régression :

  • Le retard pris par la recherche scientifique dans certains pays ne fait pas de doute et l'on peut constater – fait significatif - que les mass médias se font souvent l'écho des succès obtenus par des scientifiques européens, ...émigrés depuis longtemps à l'étranger (aux US) et qui ont parfois même oublié leur langue d'origine.
  • Il est évident que l'Europe a perdu le train de l'informatique et vit très largement sur ce que d'autres ont inventé (les US en particulier).
  • Les chercheurs européens écrivent désormais majoritairement en anglais pour des revues publiées outre Atlantique.
  • S'agissant d'énergie atomique, base essentielle de développement et de progrès à longue ou très longue échéance, certains pays européens se sont littéralement suicidés et la recherche dans ce domaine a souvent été abandonnée au profit de recherches folkloriques inutiles et coûteuses.
  • Dans le domaine de la recherche biologique, mis à part quelque Institut britannique, les Américains (et sans doute pas qu'eux) ont pris le grand large et ont déjà disparu au delà de l'horizon. Toutes ces recherches, en particulier celles sur le génome humain, pourraient très lourdement conditionner notre avenir et reléguer les européens dans une position de citoyens de troisième zone. Or, nous ne pouvons pas prétendre que d'autres travaillent pendant des siècles en fonction de notre intérêt. Ils finiront tôt ou tard par nous imposer le leur, avec toutes les conséquences que cela pourra avoir.
  • Enfin, dans la vie publique elle-même, on assiste à une certaine sclérose des institutions, au point qu'on est en droit de se demander parfois ce qu'il y reste de la Démocratie, au delà de la forme.

Pendant ce siècle, l'Europe a subi deux guerres désastreuses et trois révolutions majeures tout aussi désastreuses : révolution communiste, révolution fasciste et révolution nazi.

Comment expliquer de façon rationnelle ces événements ?

Au terme de notre parcours, on pourrait se demander si les élites européennes - confrontées à la nécessité de changer et d'évoluer - n'ont pas préféré maintenir inchangés des privilèges, des idéologies, des méthodes et des comportements immuables, qui les ont conduites à opérer de grandes fuites en avant, véritables processus involutifs, couverts par des idéaux et des slogans lancés aux quatre vents et proclamés à grands coups de grande caisse.

Il pourrait s'agir en somme du processus subi par un organisme qui – refusant l'inéluctabilité de sa déchéance et incapable de changer de mentalité - se réfugierait dans le rêve et dans le délire.

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