Addendum aux projets pathologiques |
||
ESSAI D'ANALYSE DES PROBLEMES REPORTES DANS LES ETUDES ANGLOSAXONNESDe l'ensemble des documents que nous avons pu examiner, tous portant principalement sur des projets informatiques (dont le Chaos report cité dans la bibliographie des "projets pathologiques"), il résulte qu'entre 1994 et 1999 aux Etats Unis, le pourcentage de projets ayant respecté les budgets et délais initiaux est inférieur à 26% et celui des projets ratés varie entre 31% et 26%. De nombreux documents spécialisés présentent des exemples de projets ratés ou ayant donné lieu à des retards et à des surcoûts mais le "chaos report" a le mérite de fournir des données statistiques extrêmement solides et incontestables. Cependant, la lecture de tous ces documents ne permet pas de distinguer clairement si les retards, les ratages et les surcoûts sont des phénomènes inévitables et structurels ou si ces mêmes phénomènes auraient pu être évités grâce à des méthodes et des procédures connues mais que les acteurs intervenants dans ces projets n'ont pas su ou voulu appliquer. Pour le moment, nous ne porterons aucun jugement préalable et tenons surtout à faire une nette distinction entre les phénomènes denoncés dans le site "les projets pathologiques" et les phénomènes analysés dans cet "épisode". On ne peut pas dire de l'économie américaine qu'elle manque de dynamisme. Nous allons donc essayer de comprendre les raisons pouvant mener à de tels résultats dans une situation saine, tout en étant bien conscients qu'il n'y a pas une ou quelques raisons mais une multitude de facteurs pouvant y contribuer. Les lecteurs se souviendront peut-être que nous avons stigmatisé - en Introduction - ceux qui prétendent s'appuyer sur des statistiques américaines pour interpréter la situation européenne. Nous allons pourtant bien être obligés de faire la même chose ici mais dans l'autre sens, à savoir : appliquer nos connaissances du milieu européen à la situation des Etats Unis. Notre attitude étant critiquable, nous espérons bien qu'elle sera analysée et critiquée en vue de l'améliorer. LA "JEUNESSE" DE LA TECHNIQUE : UN ARGUMENT DEPASSE ...POUR JUSTIFIER L'IMMOBILISMEPour expliquer la situation, certains documents invoquent la "jeunesse" des techniques modernes : il y a fort à parier que cet argument fut utilisé aussi par les bâtisseurs de la tour de Babel. Le progrès est nécessairement fait d'une multitude de tentatives, de tâtonnements, de "modes" et d'usages dont la plupart ne mènent nulle part et sont abandonnés par la suite ; mais il est fait aussi de réflexions, de points d'arrêt, de consolidation et de systématisation. Liquider le problème en prétextant la "jeunesse" des techniques actuelles ne veut rien dire du tout. Au cours des derniers siècles un fossé de plus en plus profond s'est creusé entre les compétences des fabricants et celles des utilisateurs :
Cet ensemble de processus s'est mis en place, non d'une façon continue, mais par bonds successifs au fur et à mesure qu'on apprenait à connaître les conséquences des techniques nouvelles et à en apprécier, bien sûr les avantages, mais aussi les failles et les inconvénients. On a l'impression aujourd'hui de traverser une longue période dans laquelle le fossé existant entre les fabricants et les utilisateurs loin de se combler prend parfois l'allure d'un canyon, faute d'avoir fait le nécessaire à l'ère du pré-informatique. Dans certains secteurs, en genéral ceux de la grande production, les techniques prévisionnelles se sont affinées à tel point que le coût d'une nouvelle production est calculé avec une grande précision. Dans d'autres secteurs, qu'on peut définir des frontières, toute nouvelle production constitue une "nouveauté", un mélange de technique consolidée et de recherche innovatrice. Dans de tels cas, le facteur risque peut être grand. La plupart des projets informatiques appartiennent à cette dernière catégorie. Il faut préciser que la révolution due au développement de l'électronique remonte désormais à plus d'un siècle. Le Taylorisme - basé sur le découpage scientifique et mesuré des tâches - et qui avait connu son heure de gloire dans l'industrie mécanique, n'était applicable que partiellement dans cette nouvelle branche de la technique dont l'informatique n'est que la prolongation naturelle. Il faut même ajouter que l'antitaylorisme, à la mode aujourd'hui, et qui consiste à donner "plus d'autonomie et de responsabilités" aux techniciens et aux ouvr..pardon! opérateurs, permet à certains managers de se décharger d'une partie de leurs responsabilités sur leurs subordonnés et donc d'être tentés, encore plus que par le passé, d'accepter des engagements dont les faits se chargent de démontrer qu'ils ne pouvaient pas être tenus. En revenant au passé on pourrait découvrir que les statistiques du Standish chaos report sont applicables à des projets de l'industrie électronique vieux de soixante dix ans et plus. Un des auteurs du site a connu des dizaines de projets issus d'industries prestigieuses dont aucun ne respectait le budget, tous coûtaient au moins le double de ce qui avait été prévu et dans un cas le coût final dépassa 3000% du budget initial. C'était il y a cinquante ans. En terme de nouveauté des techniques, on a donc désormais affaire à une “Jeunesse” vieille de cent ans. L'informatique est l'héritière de l'industrie éléctronique qui l'a précédée et en a hérité en particulier les méthodes et, parfois, certaines lacunes dans la façon de procéder dans les projets. Une situation qui perdure depuis un siècle devrait faire réfléchir. On pourrait se poser une question à ce stade : un allongement des plannings des différents projets informatiques analysés dans le Chaos report aurait-il permis réellement de réduire le coût final ou pas ? Des prévisions plus raisonnables en elles-mêmes auraient-elles permis d'éviter des gaspillages dus aux remaniements successifs des plannings et des budgets avec les connaissances, les techniques et les pratiques utilisées aujourd'hui pour les établir ? La question mérite d'être posée mais seules des statistiques rigoureuses sur le passé permettraient d'y répondre. Un des documents du Standish Group indique, sauf erreur d'interprétation de notre part, qu'il est plus important de procéder d'une façon saine dans les projets que d'effectuer des prévisions précises (“Learning to work better with poor estimates rather than developing better estimates is crucial.”). Ceci est toujours vrai ; mais le peu de soin accordé par certains managers à l'établissement de budgets prévisionnels raisonnables est précisément une façon de ne pas “travailler mieux.” LE DIFFICILE DIALOGUE ENTRE UTILISATEURS ET FOURNISSEURSNous sommes entrés depuis longtemps dans une phase transitoire stable dans laquelle d'une part les utilisateurs ne savent pas définir correctement leurs besoins et connaissent mal les possibilités des fournisseurs et d'autre part les fournisseurs n'ont pas d'outils efficaces pour prévoir correctement le coût de ce qu'on leur demande. Les projets informatiques évoluent encore largement dans la phase du cousu main et le prêt à porter reste une exception. Chaque industrie, chaque établissement bancaire veut son propre système informatique. Il n'est pas rare de trouver à l'intérieur d'une même entreprise plusieurs systèmes informatiques ayant à peu près les mêmes fonctionnalités et bricolés moitié en interne et moitié en externe par des fournisseurs sollicités sans cesse sur d'innombrables modifications demandées par le client. Les services informatiques ont dans la plupart des sociétés un rôle hybride, partagés comme ils le sont entre les projets "internes" et leur rôle naturel de support aux utilisateurs dans les expressions de besoins destinées aux fournisseurs externes. Il faut noter aussi que le personnel des ces services informatiques n'est pas nécessairement composé de techniciens issus de la Silicon Valley ou du M.I.T. Souvent le fournisseur, conscient du flou dans lequel évolue son client, accepte des délais et des cahiers des charges irréalistes puis attend patiemment que ce dernier lui demande des modifications pour réajuster comme il se doit les prix et les délais contractuels ; pratique courante mais risquée car un projet peut purement et simplement capoter sous une avalanche de modifications. Parfois aussi les exigences de clients avides de nouveautés poussent les fabricants à sortir des produits non stabilisés et donc source de coûts et de gaspillages supplémentaires. Dans ce domaine les fabricants ne sont pas en reste quand ils créent de toutes pièces des besoins en nouveaux softwares, à tel point qu'on peut se demander parfois si certains pompiers ne s'amusent pas à mettre le feu pour le seul plaisir de montrer leur bravoure à l'éteindre. LA NEUTRALISATION DU JEU DE LA CONCURRENCEEtant donné que, même aujourd'hui, la plupart des projets dérapent, les règles de la concurrence sont tenues en échec par un surcoût généralisé des projets et l'absence fréquente de mécanismes de marché sanctionnant les organisations mal gérées. Dans la page Marie Stuart du premier site, nous évoquions le trinôme "action-récompense-sanction"; même dans une société évoluée et à la pointe du progrès, comme le sont les Etats-Unis, les temps ne semblent pas encore mûrs pour voir écartés du marché les mauvais managers. Faut-il être pessimistes ? Pas du tout. Les analyses statistiques conduites sur ce type de phénomènes, notamment aux Etats Unis, indiquent une volonté de progresser vers une plus grande rigueur et une plus grande efficacité. Pourtant il y a un noyau dur d'organisations réticentes qui persistent dans leurs "méthodes". CONCLUSIONDe tout ce qui précède on peut tirer les conclusions suivantes:
Tout ce qui précède pourrait paraitre d'une affligeante banalité ; cependant notre long, douloureux et bien incomplet apprentissage de textes rédigés par des spécialistes nous a convaincus que des néophites comme nous risquent parfois, à la lecture d'analyses trop savantes, de se compliquer les idées à tel point que même les phénomènes les plus banals en perdent leur éclatante évidence. De plus, il était utile d'opérer ce petit détour Outre-Atlantique, avant de revenir chez nous, en Europe. |
||