NAISSANCE

Je suis né de l'eau ; c'est ma première source, mon premier lit et ma première vague ; c'est le berceau de mon premier songe, l'océan de ma première nage et comme un gigantesque éléphant tombant sur le sol nu je suis tombé sur terre.

J'étais un continent, un navire voguant toutes voiles dehors à milles lieux sous le soleil, j'étais un astre scintillant, une étoile ou même un jardin, ou même un pot de terre ; j'étais un galion espagnol découvrant le nouveau monde, un avion flamboyant déchirant l'atmosphère, une armée de plomb défaisant les barbares, ou une princesse indienne qui, dansant dans le feu, tourmentait le cœur de quelque rude corsaire ….et ce sera bientôt du sable et de la poussière bousculés par le vent.

Des baisers de ma mère au berceau, de l'enfance qui dort, de la vie qui s'éveille, de l'odeur du sang, du parfum du lait mêlé de miel, du pain, des fleurs et des pensées volées, des mots dérobés, des murmures surpris et des mille façons qu'on a eues de m'aimer ou de m'assassiner, ne resteront que les pas feutrés et sourds de la garce aux mains froides qui viendra me prendre quand je le voudrai moins. C'est elle que je fuyais quand poussant sur les flancs du palais rougeoyant, bleu et or où je voguais, je dansais dans l'eau.

Savez vous ce qu'est l'eau ? savez vous voguer, voler, et dans un geste seul emporter avec vous l'océan qui vous serre, sculpter les vagues, étreindre leurs ailes et plonger...dans cet infini bleu rouge et or qui vous porte, dans ce royaume doré où seul avec l'esprit vous sentez sans comprendre que le verbe va venir, et que bientôt, soudain, par un geste subtil, un hoquet de la chair, un seul souffle…il est là.

Ensuite c'est la lumière aveuglante et brutale, et des mots ou des rires qui accueillent votre entrée, nu comme un vers…un vers nu dans le monde. Voilà la fleur et voilà l'arbre et tous deux dans un champs ; puis les fruits, le ciel ; par dessus le marché les couleurs… et des mots dessinés sur le papier ; mais pas vos mots, ceux des autres, que vous vous récitez en chantant des prières.

"Abracadabra !" s'exclame le magicien et vous êtes debout ; c'en est fini de vos rages impuissantes, vous pouvez… quoi au juste ? Courir ! L'échappée, voilà la course de vos plaisirs,… de partout vous vous échappez et sans vous retenir. Le " oui " et le " non " jouent à la balançoire. Si c'est non, on ne joue plus et vous dormez.

Quand le marchand de sable aura passé, on vous tirera de vos songes et vous sentirez soudain que vos pieds bien plantés s'enfonçant dans la terre, vous prenez racine…mais la mélodie qui pousse dans votre tête, elle, vient de l'eau …

Septembre 1999

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