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Postscriptum n°24 - La finance néo-libérale, crime et souffrance

Introduction

7/05/2017, date historique. Le moment est venu de publier cette page en français. D’abord parce cela ne sert plus à rien... ; ensuite parce que les travailleurs du privé vont enfin voir s’ouvrir devant eux une nouvelle ère, un temps de renouveau, qui va leur offrir une véritable alternance. A chaque nouvelle délocalisation ou menace de délocalisation, ils pourront, soit pousser de robustes et tonitruants "Vive Trotsky!", soit ânonner, en baissant la tête, de longs et pénibles : "Oui, Massa Goldman Sachs ! Comme vous voudrez Massa Goldman Sachs! A vos ordres Massa Goldman Sachs !".

Préambule

Nous nous occuperons dans cette page de pratiques que l’on peut définir de criminelles, au vu des effets qu’elles ont sur la vie des gens, en l’occurrence sur des populations entières. Pour les besoins de l’analyse, nous proposons la définition suivante de ce qu’est un crime :

on peut définir comme un crime toute action, d’une ou plusieurs personnes, qui provoque de la souffrance chez autrui, sans une raison ou un motif plus que justifiés.

Il s’agit d’une définition totalement neutre et "technique", indépendante de considérations juridiques ou morales. Dans cette définition, un criminel peut très bien faire partie de ce qu’il est convenu d’appeler les gens "bien comme il faut" et être digne de respect. Nous sommes conscients des objections que cette définition soulèvera, en particulier chez les juristes pointus et les greffiers pointilleux, mais c’est celle que nous retiendrons, comme on le comprendra dans la suite, pour une raison très simple : c’est que sur cette question, il revient à chacun de prendre position.

La Finance criminelle

Le but de la finance néo-libérale est l’obtention du profit maximum. Dans le logiciel de la finance néo-libérale, la recherche du profit constitue une authentique norme de vie se substituant à toutes les autres lois morales. Cette recherche du profit maximum implique, à titre d’exemple, de vastes délocalisations d’activités, qui conduisent souvent à la désertification de villes ou de régions entières, quand ce n’est pas d’Etats ou de grands espaces géographiques, le tout pour respecter "l’impératif catégorique" du profit maximum.

On le sait, de telles opérations, qui ne se justifient que par la recherche impérative du profit maximum, entraînent dans leur sillage des destructions d’emplois massives, l’appauvrissement et la précarisation des populations qui en sont les victimes, la dégradation de leurs conditions de vie, leur assujettissement moral, social et politique, et au final d’immenses souffrances.

Et pourtant, même armés d’une bonne dose de mauvaise foi, il serait difficile de soutenir que ces opérations sont fondées sur une raison ou un motif plus que justifiés. Ce type de finance peut donc être défini, sans le moindre doute, comme une finance criminelle, sur la base de la définition du crime que nous avons proposée plus haut.

En surfant sur la toile autour de ce sujet, nous avons trouvé un article contenant une interview du professeur Vincenzo Ruggiero (http://abcrisparmio.soldionline.it/guide/altra-economia/i-crimini-dell-economia). Selon ce qu’en dit le journaliste, ce professeur semble avoir une position encore plus radicale que la nôtre : il analyse les principales théories économiques sous un angle criminologique, en examinant comment chacune d’entre elles porte intrinsèquement les germes de la souffrance sociale produite par l’activité économique. Il ne s’agit pas seulement d’une doctrine économique particulière, mais de plusieurs ; pour tout dire, des principales. Sans avoir lu les livres de ce professeur, nous pensons qu’il a probablement diagnostiqué le problème bien avant nous, et si c’est le cas, qu’il n’aura aucune difficulté à tolérer que des apprentis soient de son avis.

Nous avons dit plus haut que notre définition du crime est indépendante de tout jugement moral. En voici une illustration : les sociétés qui gèrent les fonds de pensions poursuivent clairement un objectif de profit maximum, exigé tout aussi clairement par les actionnaires retraités qui investissent dans ces fonds. Ce simple principe fait qu’ils peuvent être considérés dans certains cas comme des criminels, selon la définition que nous avons donnée plus haut. Pourrions-nous exiger de retraités un comportement "moral" dont nous ne serions pas capables nous-mêmes ? Et en allant plus loin : que se passerait-il, si les dirigeants d’un fond de pension refusaient subitement de raisonner en termes de profit maximum et décidaient, pour des raisons éthiques, de renoncer à des opportunités susceptibles d’accroître les profits de leur société. Est-ce que les braves retraités investissant dans ce fond n’auraient pas de justes raisons de les considérer comme des administrateurs négligents agissant contre leurs intérêts, voire même de les attaquer en justice.

Répétons que notre définition de la "finance criminelle" est ici purement " technique". Ce qui nous importe dans cette définition est sa neutralité, sa nature étrangère à tout intérêt particulier et pour ces raisons mêmes son caractère acceptable par tous, y compris par ceux qui, pratiquant ce type de finance, en tirent un profit, et qui, mieux que quiconque, ont tous les moyens de mesurer au quotidien les effets de leurs actions.

En examinant maintenant la façon dont le monde politique réagit à ce type de finance toujours plus envahissante, on peut affirmer que les hommes politiques, de façon générale, acceptent et même favorisent la finance néo-libérale. Ils ne se limitent au mieux qu’à fournir des règles dont le but est d’offrir à ce type de finance un cadre juridique et, accessoirement, d’en limiter les excès qu’on lui reconnaît. En d’autres termes, il s’agit pour les hommes politiques de réglementer ou d’encadrer le crime.

Certaines personnes justifient la pratique de ce type de finance en affirmant que, si d’un côté elle conduit à désertifier des régions entières, elle en avantage d’autres. Ce raisonnement simpliste camoufle un fait évident : c’est qu’au total, il s’agit d’un transfert de richesses extirpées aux classes moyennes ou basses, et plus précisément à la petite bourgeoisie (pouah, beurk, pouah…) vers les poches profondes d’un cercle très restreint de financiers, quitte à réduire par la même occasion le pouvoir d’une partie des classes moyennes (pouah, beurk, pouah...) et supérieures. Un phénomène assez semblable à ce qui arriva en son temps dans les colonies asiatiques hollandaises.

Par ailleurs, en ce qui concerne la supposée croissance induite par de telles pratiques dans certaines régions, on peut affirmer sans trop de doute qu’elle porte la marque du provisoire et peut se transformer en désastre à tout moment. A tout moment, ces régions peuvent perdre ce qu’elles croient avoir gagné, en fonction de la loi du profit maximum et du bon vouloir d’une poignée de financiers, devenus les nouveaux Dieux menaçants de l’Olympe.

Rien, absolument rien, ne prouve que de telles pratiques soient les meilleures possibles pour l’humanité, tandis que tout porte à croire qu’elles le sont sans aucun doute pour leurs auteurs.

Et les syndicats, nous direz-vous ? Face au développement effréné de la finance néo-libérale, les syndicats protestent, parfois mêmes "vigoureusement", lancent des appels à la grève démonstratifs, interpellent les hommes politiques par de vibrants appels, organisent des marches et des rassemblements..., pour finalement se résoudre à ne rien faire, étant entendu qu’ils ne peuvent rien faire en pratique.

Nous disons "pratiquement rien" et pas tout à fait rien, parce que souvent les hommes politiques réussissent à sauver quelque syndicaliste qui se serait particulièrement illustré dans la lutte, en l’exfiltrant des ruines fumantes des usines où il travaillait auparavant, pour le convertir à l’art de la politique dans une assemblée nationale, ou mieux encore européenne.

Comme on le verra dans la suite, quand des êtres humains sont poussés par intérêt à accepter des comportements que leur âme même considère comme criminels, ils se trouvent parfois obligés de s’inventer des justifications "morales", en cherchant par tous les moyens à mener à bien une entreprise impossible : celle qui consiste à "humaniser" le crime. Les deux plus illustres exemples de ce comportement adopté par une humanité tiraillée entre intérêt et "morale", sont l’esclavage et la torture.

La Torture

La pratique de la torture est aussi vieille que le monde, et bien qu’elle soit bannie de nos jours, on ne peut pas dire qu’elle en soit totalement éradiquée. L’Eglise elle-même, hélas, l'a considérée comme légale, et l'a pratiquée, en général, par personne interposée. Et cependant, les souffrances atroces infligées aux victimes ne laissèrent pas tous indifférents et de tous temps des quantités d’hommes ont cherché à en limiter l’usage et à en réduire les effets.

Les italiens peuvent se vanter d’avoir donné naissance à celui qui en premier appela, dans un texte célèbre, à bannir cet instrument cruel, et de plus, jugé inefficace par l’auteur, le Conte VERRI. Avant le Conte VERRI, de nombreux juristes, ou plutôt "jurisconsultes", s’efforcèrent de limiter l’usage de cette pratique barbare en essayant de la rendre – si l’on peut dire – plus humaine. Et c’est encore une fois, le grand Manzoni qui vient à notre secours, en illustrant dans son livre "Histoire de la colonne infâme" le rôle de plusieurs jurisconsultes et même d’un illustre historien appelé Muratori, dans leurs tentatives de "domestiquer la bête barbare".

L’objectif de Manzoni était bien différent du nôtre : il souhaitait montrer que les juges de ce temps-là n’avaient pas l’excuse souvent avancée du "c’est ainsi qu’on voyait les choses à l’époque", parce qu’ils ne s’étaient même pas donnés la peine de tenir compte de la jurisprudence existante à leur époque, et l’avait volontairement bafouée, poussés en cela par des raisons odieuses.

Notre but à nous, est de démontrer, en nous appuyant dans ce cas aussi sur les écrits de Manzoni, que quand le pouvoir pratique le crime, bien des êtres humains, conscients de la situation, s’efforcent d’en limiter les effets, ce qui a comme résultat paradoxal celui de revêtir le crime d’un "habit juridique".

Dans ce cas aussi, les êtres humains se comportent de façon schizophrénique, se montrant, d’un côté, horrifiés par certaines actions, et les admettant de l’autre. De nos jours il est entendu que la torture est un crime, non seulement dans le sens que nous avons donné à ce mot, mais aussi aux yeux de la Loi.

L'esclavage

Réduire des hommes en esclavage a été considéré non seulement comme légal durant des millénaires, mais peut même être considéré comme un progrès par rapport à la pratique du cannibalisme et de l’extermination des vaincus après les guerres. Et sur ce thème, la bible elle-même nous fournit de très précieux exemples.

Dans ce cas aussi, même si d’un côté la traite et l’exploitation d’êtres humains étaient considérées comme légales, au point de constituer la base de l’économie de vastes régions, d’un autre côté de nombreuses personnes, parmi lesquelles s’illustre la figure de Las Casas, cherchèrent, au sein même des coutumes de leur époque, à « humaniser » ces pratiques et parfois à les combattre. Mais les mémoires de l’époque nous disent que même en se battant contre de telles pratiques, ils ne parvenaient pas pour autant à placer leurs actions en dehors du cadre et de la logique de leur temps.

Par exemple, si Las Casas condamnait l’esclavage des indiens d’Amérique, il suggérait néanmoins, dans un passage de ses écrits, de substituer des esclaves noirs aux esclaves indiens, réputés moins robustes et plus sujets à une mort rapide. A noter la position particulière de l’Eglise Catholique qui, au moins formellement, au moins elle, et à plusieurs reprises, condamna la traite des êtres humains et l’usage de l’esclavage.

La condamnation était prononcée, mais il faut bien admettre qu’il s’agissait d’un geste plutôt formel, parce que les auteurs des pratiques en question ne semblent pas avoir été excommuniés ou condamnés de quelque façon que ce soit par les autorités ecclésiastiques. Très souvent les personnes pratiquant la traite ou même propriétaires d’esclaves étaient considérées par la hiérarchie catholique comme de bons chrétiens, et c’est bien ainsi qu’eux-mêmes se considéraient. Nous connaissons peu le comportement adopté par les autres religions, mais il n’était pas rare que des esclavagistes de l’époque s’appuient sur des textes sacrés pour justifier leurs actions.

Même dans ce cas, il apparaît évident que si d’un côté l’esclavage était considéré comme légal et même nécessaire, il était considéré d’un autre côté par l’âme humaine comme une pratique cruelle et créatrice de souffrance. Autre exemple, donc, d’un comportement schizophrène.

Cela paraît impossible, mais les règlements concernant les esclaves, considérés aujourd’hui comme des documents odieux, contenaient toujours quelques dispositions en leur faveur, histoire d’établir un semblant d’équilibre. Colbert déclarait ainsi : "Sa Majesté estime nécessaire de régler par une déclaration tout ce qui concerne les nègres dans les isles, tant pour la punition de leurs crimes que pour tout ce qui peut regarder la justice qui leur doit être rendue."

Equilibre plutôt instable dans la pratique, étant donné que les esclaves obtenaient rarement gain de cause en justice, alors qu’ils étaient considérés comme des criminels s’ils cherchaient à fuir, et même multirécidivistes, passibles de la peine de mort, s’ils s’obstinaient.

C’est un chapitre à part qu’il faudrait pour étudier la tendance des êtres humains à considérer qu’ils sont dans leur bon droit, une fois certains comportements légalisés par leurs propres soins. Jusqu’au point par exemple, non seulement de rendre légale la réduction en esclavage d’autres êtres humains, mais en plus de rendre juste et légitime le fait de punir très sévèrement un esclave fugitif, et de le considérer comme un criminel pour ce seul motif.

Et maintenant, en référence à la définition du crime que nous avons donnée en préambule à cette page, nous demandons au lecteur de répondre à cette question : en utilisant notre définition, aurait-on pu soutenir à l'époque de l’esclavage, que cette pratique alors tolérée, répandue et légale, n’était pas un crime ?

Et en conservant ce même regard, que pourrait-on dire de cette finance néo-libérale, qui conduit aujourd'hui à appauvrir, épuiser et littéralement détruire la vie de populations entières, sur le simple bon vouloir d’un petit collège de financiers triés sur le volet et qui décident en cercle restreint d'entailler des pans d’industries par ci pour aller tirer encore plus de profit par là, en considérant les êtres humains qui en sont les victimes comme des biens de production parmi d’autres? Pourrait-on en dire qu’elle n’est pas un crime, toute tolérée, pratiquée et parfaitement légale qu’elle est de nos jours, comme l’étaient l’esclavage et la torture en leur temps?

Comme nous l’avons dit plus haut, il nous semble important de prendre position. Nous invitons donc le ou les lecteur(s) courageux qui auraient atteint ce paragraphe à répondre seul(s) à la question.

Conclusion

Nous avons fourni trois exemples de pratiques criminelles similaires, dont deux sont considérées comme telles de nos jours, proscrites par la loi et dont l’abolition fait l’objet de célébrations émouvantes, et une, qui bien que tout aussi clairement criminelle que les deux autres, est parfaitement légale de nos jours, protégée par le pouvoir, tout au moins dans le monde occidental "démocratique".

A tel point que l’on considère comme insensé, antidémocratique et même criminel quiconque oserait s’y opposer par des actions, et pas seulement par d’innocents discours, comme nous le faisons ici, …en espérant qu’il est encore permis de " discourir" … Nous affirmons que ces trois pratiques sont similaires entre elles.

Mais, plus que de similitude, on peut parler d’une vraie identité entre l’esclavage et la finance néo-libérale : mêmes objectifs, mêmes procédés, même législation, même attitude de la part des hommes politiques, des hommes de religion et des philosophes. Pour ce qui est de la souffrance des victimes, nous ne sommes aujourd’hui qu’au premier chapitre de ce que la finance libérale est capable de produire, mais elle nous promet déjà de brillants résultats.

Que restera-t-il aux victimes de cette belle et prospère finance néo-libérale dans certains pays, une fois que leurs territoires auront été évidés comme des poissons de la plupart de leurs anciennes activités ? Peut-être ne restera-t-il aux anciens travailleurs que le choix de s’engager comme mercenaires mamelouks à la solde des financiers tous puissants et de devenir le bras séculier de ces derniers, en s’attachant à porter le credo néo-libéral chez les "mécréants" ou les "hérétiques".

Peut-être que dans un ou deux siècles, après avoir pris tranquillement son temps, l’humanité découvrira que la finance néo-libérale était une pratique criminelle. Mais les choses pourraient aller dans un sens bien moins favorable aux petits bourgeois (pouah, beurk, pouah...) que nous sommes, parce que la puissance de ceux qui tirent les fils de cette finance est telle, qu’on peut aussi anticiper avec effroi l’évolution dont nous avons parlé dans le chapitre ”Progrès, liberté, démocratie”.

Dans ce cas, la race supérieure réduirait définitivement une grande partie de l’humanité au rang de bête, très éloignée de l’être humain. Deux éléments aux moins semblent aller dans ce sens en tous cas : d’une part, la puissance de la finance criminelle, infiniment supérieure aujourd’hui à celle des esclavagistes d’antan, et d’autre part, le consensus universel dont elle jouit, que les esclavagistes n’avaient certainement pas à leur époque.

On peut même légitimement se douter de nos jours que bon nombre de révolutions "démocratiques", plus ou moins colorées, sont en réalité sponsorisées par des états gouvernés par la finance néo-libérale. Et ce, non pas tant par souci d’offrir plus de démocratie et de bien-être à d’autres pays, mais simplement parce qu’on considère que la pratique néo-libérale n’y a pas été ou n’est pas appliquée avec suffisamment de rigueur.

Pour observer les effets bénéfiques de ces révolutions « démocratiques » ou de ces interventions, il suffit de tourner le regard vers la Lybie ou l’Irak. Ces révolutions ou interventions ont été soutenues par pratiquement tous les états de "l’alliance" néo-libérale. Et si l’ordre néo-libéral triomphe dans certains de ces Etats aujourd’hui, on peut difficilement dire que le résultat soit "à la hauteur des espérances" des habitants de ces régions.

Ces événements montrent, en passant, que les Etat néo-libéraux n’hésitent pas à employer des méthodes "énergiques", quand ils se trouvent confrontés à des Etats certainement pas démocratiques, certainement plutôt en odeur de dictature, mais tout aussi certainement hérétiques en matière de credo néo-libéral.

Nous sommes de plus en plus convaincus, en observant simplement les faits, que l’idéologie néo-libérale est une idéologie totalitaire, et que les états hégémoniques qui ont adopté cette doctrine ont pour but de l’imposer à l’humanité.

Il faut d’ailleurs constater que si la doctrine néo-libérale a cherché initialement à marginaliser l’intervention de l’Etat, elle cherche aujourd’hui à le dominer purement et simplement, et à faire de ses représentants des serviteurs zélés et des exécutants convaincus du credo néo-libéral.

En fait de méthodes énergiques, après la torture et l’esclavage, on pourrait aussi parler avec profit de la glorieuse épopée du colonialisme, qui présente lui aussi de grandes similitudes avec l’actuelle finance néo-libérale.

Encore un sujet qui, comme l’esclavage, offre à nos politiques, intellectuels et philosophes contemporains de belles occasions d’envolées lyriques, d’écrits, de célébrations, de commémorations vibrantes, d’évocations émouvantes, de pathos, d’inaugurations de monuments,de baptêmes ou de re-baptêmes de rues, de places ou de théâtres, le tout baignant dans les trémolos et les injonctions à ne pas oublier cette ancienne barbarie (N’oublions jamais le passé ! Ah ne l’oublions pas !...).

Croyez-vous qu’ils écraseraient une larme pour les souffrances qu’ils imposent de nos jours à leurs concitoyens en asservissant leur pays au dogme sacro-saint de la finance libérale ? Il est tellement plus simple de partir à l’assaut de barbaries révolues que de s’occuper avec courage de celles d’aujourd’hui.

Il ne nous reste qu’à espérer que les héritiers spirituels de tous ces brillants personnages, sauront en temps voulu, c’est-à-dire dans deux ou trois siècles au mieux, évoquer avec autant d’émotion les souffrances subies aujourd’hui par des millions et des millions d’êtres humains, au nom de la finance néo-libérale contemporaine.

De nombreuses personnes très sensées pourraient objecter que la finance néo-libérale est une nécessité pour notre époque. Il se pourrait qu’elles aient raison, comme il se peut que les défenseurs de la torture, de l’esclavagisme et du colonialisme aient eu raison à leur époque.

Mais alors dans ce cas, si la nécessité suffit à sanctifier certaines actions, à quoi sert de s’émouvoir aujourd’hui pour des faits accomplis en état de nécessité dans des époques révolues, tout en restant indifférents à des phénomènes comparables qui s’accomplissent de nos jours et sous nos yeux ? Pure hypocrisie ?

Arrivés au terme de ce chapitre, et juste pour rire et faire comprendre ce que signifiait en pratique l’expression "prise de possession légale" d’un territoire, et mêmes d’entières populations, le tout étant réglé par des commissaires-notaires, nous reproduisons ci-dessous un document par lequel un explorateur français, prit possession de la Louisiane, accompagné de quelques dizaines d'hommes. Un immense territoire qui s’étendait du Canada au golfe du Mexique. Prise de possession bien entendue reconnue comme légale par la plupart des états civilisés de l’époque :
" De par très haut, très puissant, très invincible et victorieux prince Louis le Grand, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, quatorzième de ce nom, ce jourd'hui, neuvième avril mille six cent quatre-vingt-deux, Je, en vertu de la commission de Sa Majesté, que je tiens en main, prêt à la faire voir à qui il pourrait appartenir, ai pris et prends possession, au nom de Sa Majesté et des successeurs de sa couronne, de ce pays de la Louisiane, mers, havres, ports, baies, détroits adjacents, et toutes les nations, peuples, provinces, villes, bourgs, villages, mines, minières, pêches, fleuves, rivières, compris dans l'étendue de ladite Louisiane, depuis l'embouchure du grand fleuve Saint-Louis du côté de l'Est, appelé autrement Ohio, Olighin Sipou ou Chukagoua, et ce du consentement des Chikacha et autres peuples y demeurant, avec qui nous avons fait alliance, comme aussi le long du fleuve Colbert ou Mississippi et rivières qui s'y déchargent, depuis sa naissance au-delà du pays des Sioux ou des Nadouesioux, et ce de leur consentement et des Ohotante, Ilinois, Matsigamea, Akansa, Natchè, Koroa, qui sont les plus considérables nations qui y demeurent, avec qui nous avons fait alliance par nous ou gens de notre part, jusqu'à son embouchure dans la mer ou golfe de Mexique, environ les vingt-sept degrés d'élévation du pôle septentrional jusqu'à l'embouchure des Palmes, sur l'assurance que nous avons eue de toutes ces nations que nous sommes les premiers Européens qui aient descendu ou remonté ledit fleuve Colbert. Proteste contre tous ceux qui voudraient à l'avenir entreprendre de s'emparer de tous ou chacun desdits pays, peuples, terres ci-devant spécifiés, au préjudice du droit que Sa Majesté y acquiert, du consentement des susdites nations, de quoi, et de tout ce que besoin pourra être, prends à témoin ceux qui m'écoutent et en demande acte au notaire présent pour servir ce que de raison."

Ainsi soit-il !

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